2 juillet 2025

Appellations de l’Auxerrois : miroir vivant de la diversité des terroirs

Le patchwork auxerrois : là où la vigne épouse les nuances du sol

Du ruban sinueux de l’Yonne aux coteaux lumineux qui enveloppent Auxerre, le vignoble auxerrois évoque une mosaïque : chaque parcelle, chaque repli, semble raconter une histoire. Pour saisir la singularité des vins de l’Auxerrois, il faut poser la question des terroirs : ils façonnent le tempérament de chaque cuvée aussi sûrement que la main du vigneron. Les appellations locales – Vézelay, Irancy, Saint-Bris, Bourgogne Côtes d’Auxerre, mais aussi Chitry et Coulanges-la-Vineuse – ne sont pas de simples indications administratives : elles incarnent la diversité de ces terres.

Aux origines : Histoire et géographie d’un vignoble singulier

Le vignoble auxerrois plonge ses racines dans l’Antiquité, traversant périodes florissantes et crises (désastre du phylloxéra au XIX siècle, gelées historiques…). Aujourd’hui, il couvre environ 1 300 hectares selon le Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), répartis dans une douzaine de villages. À ces terres, l’histoire a légué une géologie foisonnante, issue des prémices du bassin parisien : marnes, calcaires kimméridgiens, argiles et bancs caillouteux s’y juxtaposent.

  • Le calcaire kimméridgien (Jurassique supérieur), semé de fossiles d’huîtres déformées (exogyra virgula), est le même qui donne aux vins de Chablis leur minéralité profonde.
  • Les marnes et argiles, plus grasses, tempèrent ou intensifient fraîcheur et souplesse.
  • Les expositions variées (sud, sud-est, parfois nord pour certaines parcelles) apportent complexité aromatique et diversité de maturité.

Cette géographie, associée à un climat semi-continental, explique la multiplicité d’expressions que revêtent les cépages. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs appellations cohabitent, chacune cristallisant à sa manière, le dialogue entre le sol, la vigne et l’humain.

Tour d’horizon des grandes appellations et de leur identité

Irancy : le pinot noir dans ses habits charnus

Irancy est le joyau rouge de l’Auxerrois. Sur ses 180 hectares, le pinot noir règne, parfois complété par le césar – cépage rare aux notes sauvages – un trait hérité de la République romaine. Ici, les coteaux argilo-calcaires exposés sud/sud-ouest, protégés par une boucle de l’Yonne, garantissent une maturité optimale et une belle concentration des baies.

  • Grandes caractéristiques : Couleur profonde, structure charnue, arômes de cerise noire, pivoines, épices et parfois une légère note fumée.
  • Anecdote : Irancy fut l’un des rares villages de l’Yonne à ne jamais cesser de produire du vin, même aux heures sombres du phylloxéra.
  • Production annuelle : Environ 7 000 hl (source : BIVB, chiffres 2022).

Saint-Bris : le sauvignon, l’enfant terrible de Bourgogne

Saint-Bris est une anomalie délicieuse dans le paysage bourguignon : seule appellation village de Bourgogne dédiée au sauvignon blanc (sauvignon blanc et sauvignon gris). Sur une centaine d’hectares, ce cépage trouve à Saint-Bris une expression toute particulière grâce aux sols frais (majoritairement marne et calcaire) et un climat qui conserve la vivacité du fruit.

  • Notes de dégustation : Nez explosif de buis, agrumes, parfois groseille à maquereau, finale saline.
  • Données chiffrées : Production d’environ 5 500 hl en moyenne annuelle (BIVB).
  • Particularité : Cette singularité s’explique par la proximité du vignoble avec la Loire, qui a peut-être inspiré dès le XIX siècle l’introduction du sauvignon (Source : “Le Vignoble oublié de l’Yonne”, P. Servajean, 2011).

Bourgogne Côtes d’Auxerre : équilibre et élégance typiquement auxerrois

Le Bourgogne Côtes d’Auxerre (en blanc comme en rouge) exprime toute la délicatesse du terroir calcaire : 188 hectares, éclatés autour d’Auxerre, Saint-Bris, Vaux ou Quenne. Les vignes profitent d’une exposition en majorité sud/sud-est sur des pentes douces, où la vigne plonge lentement ses racines dans le calcaire.

  • En blanc : Le chardonnay est vif, floral, à la minéralité sensible (craie, silex), parfois une touche de noisette grillée.
  • En rouge : Pinots fruités, tannins soyeux, nuances de petits fruits rouges et sous-bois.
  • Côté chiffres : Près de 7 500 hl produits en moyenne par an, la plupart en blanc (BIVB).

Chitry : l’ascension d’une pépite discrète

Sur 77 hectares, Chitry se partage entre pinot noir et chardonnay. Les terres pauvres et maigres donnent des vins nerveux, au caractère ciselé. Depuis quelques années, la notoriété de cette appellation grimpe, portée par de jeunes talents œuvrant en bio ou en biodynamie.

  • Profil des vins blancs : Précision minérale, fruits blancs croquants, légères touches herbacées.
  • Rouges : Profil floral, vinosité discrète, épices douces.

Vézelay : quand le chardonnay s’habille de lumière

Vézelay, devenue appellation Village en 2017 (source : INAO), célèbre le chardonnay dans son expression la plus aérienne sur 70 hectares aux portes du Morvan. Les vignes serpentent les coteaux autour de Saint-Père, Asquins et Tharoiseau, sur des sols calcaires et caillouteux.

  • Profil typique : Vivacité, bouquet d’agrumes et de fleurs blanches, minéralité cristalline. En bouche, une tension signée par les hivers rudes et l’altitude (jusqu’à 330 m).
  • Chiffre clé : Production d’environ 3 500 hl/an (Données INAO, 2020).

Coulanges-la-Vineuse : rouge de plaisir, blanc de fraîcheur

À une dizaine de kilomètres au sud d’Auxerre, Coulanges-la-Vineuse dessine un vignoble de 150 hectares, réputé historiquement pour ses rouges fruités, gourmands, taillés pour la convivialité. Les blancs au chardonnay gagnent aussi en renom.

  • Rouges : Pinot noir pur, parfois assemblé avec un zeste de césar.
  • Blancs : Chardonnays frais, nerveux, floral.

Quand la diversité du sol façonne le vin : exemples concrets et anecdotes

Derrière ces appellations, se cache un foisonnement insoupçonné de sols et de microclimats. Un même cépage, à seulement quelques centaines de mètres, peut livrer des différences marquées.

  • Irancy : Une cuvée “Palotte” (parcelle sur argile rouge) offre des rouges plus puissants et épicés que la parcelle “Mazette”, perchée sur un banc calcaire pur, dont les fruits rouges éclatent au nez.
  • Saint-Bris : Les vignes proches du village d’Escolives affichent plus de pétulance (sols de marnes blanches) que celles du plateau de Saint-Bris, où la tension saline est exacerbée.
  • Vézelay : Au sud, à Saint-Père-sous-Vézelay, chardonnays droit et tranchant ; au nord, près de Tharoiseau, minéralité en filigrane, notes de poire.

Ce jeu d’influence n’est pas une lubie de sommelier, mais une réalité désormais mesurée : des études de l’INRAE Dijon ont identifié plus de 25 micro-parcelles auxerroises dotées de rayonnements solaires, de pentes ou d’humidité différents, influant directement sur la qualité du raisin. (Source : INRAE, “Terroir Mapping in the Auxerrois Area”, 2019)

Les appellations, garantes d’une identité, mais pas de l’immobilisme

Si l’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) consacre la typicité d’un vin lié à un terroir, il existe une vibrante modernité dans ces terres : chaque vigneron réinterprète à sa main l’héritage du sol. Nombre d’entre eux, comme à Chitry et Vézelay, expérimentent des vendanges plus tardives, ou s’essaient à de nouveaux élevages (œufs bétons, jarres en grès) qui révèlent un visage inédit du terroir.

Autre trait marquant : la montée de la viticulture biologique. Aujourd’hui, près de 20 % du vignoble auxerrois est conduit en bio ou conversion, dopant encore l’expression du terroir (Données Agence Bio, 2023).

Enfin, le dialogue constant entre tradition et innovation cultive cette diversité. Là où Coulanges-la-Vineuse reste fidèle à ses vins faciles pour les cafés et bistrots, Vézelay ou Irancy prêtent le flanc à des cuvées longuement élevées, rejoignant les plus grandes tables.

Terroirs en mouvement : vers de nouveaux horizons ?

La diversité des terroirs auxerrois, couverte par ses appellations, n’est pas figée. Avec le réchauffement climatique, de nouveaux cépages testés à titre expérimental pointent leur nez. Certains vignerons s’interrogent : demain, le sauvignon gris sera-t-il plus qu’un appoint à Saint-Bris ? Les rouges d’Irancy évolueront-ils vers des profils plus sudistes ?

Déjà, l’ouverture vers des pratiques culturales régénératives, la réappropriation de vieilles parcelles, ou la redécouverte de cépages oubliés (comme le tressot, discret cousin du césar) témoignent du dynamisme auxerrois.

Au fil des appellations, la gourmandise en héritage

La somme de traditions, de transmissions et de microclimats forge un monde auxerrois pluriel, dont les appellations sont le reflet vivant. Derrière chaque nom – Irancy, Saint-Bris, Vézelay… – il y a mille nuances, mille voix du terroir. Elles invitent à la dégustation attentive, à la curiosité, à la redécouverte continue.

Au fond, c’est l’héritage de la Bourgogne modeste – celle d’Auxerre – qui s’y incarne : diverse, sincère, à la fois patte d’artisan et témoin de la nature. C’est là la plus belle promesse pour l’avenir et la plus savoureuse invitation à pousser la porte des caves locales.

Sources : Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), INAO, Agence Bio, “Le Vignoble oublié de l’Yonne” P. Servajean (2011), INRAE “Terroir Mapping in the Auxerrois Area” (2019).

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