16 juin 2025

Tour d’horizon des appellations et des terroirs auxerrois : derrière chaque vin, une histoire singulière

La Côte d’Auxerre : un subtil équilibre entre tradition bourguignonne et identité locale

Bénéficiant de l’appellation Bourgogne Côte d’Auxerre depuis 1993, ce vignoble s’étend sur 210 hectares environ (Source : BIVB). Il s’agit de l’une des six dénominations géographiques complémentaires de l’AOC Bourgogne, à l’instar de Bourgogne Hautes-Côtes de Nuits ou Bourgogne Côte Chalonnaise. Mais ici, l’esprit de l’Auxerrois se distingue par une finesse propre, fruit d’un dialogue séculaire entre le calcaire kimméridgien (le même que celui de Chablis) et la main du vigneron. Les villages de Saint-Bris-le-Vineux, Auxerre, Vaux, Venoy, Quenne et Augy sont l’écrin de cette liturgie discrète.

  • Les rouges — principalement issus de pinot noir (mais parfois complétés par du césar dans de rares parcelles), s’expriment dans un registre de fruits rouges frais, sur une structure élancée : acidité maîtrisée, tanins souples. Ils évoquent souvent la griotte, la pivoine, et parfois une touche saline qui signe les calcaires locaux.
  • Les blancs — exclusivement chardonnay, déploient des arômes citronnés, floraux, avec une minéralité qui rappelle la craie humide ou l’iode lointaine de la mer disparue. Moins opulents que leurs cousins mâconnais, ils jouent la carte de la retenue, de l’élégance.

Ce qui distingue fondamentalement la Côte d’Auxerre des autres appellations régionales, c’est son terroir partagé avec le Chablisien. Sa latitude plus nordique que la Côte d’Or confère aux vins une fraîcheur souvent vibrante, idéale pour accompagner la gastronomie locale (escargots, gougères, fromages affinés…).

Irancy : le rouge singulier du nord de la Bourgogne

Quand on évoque Irancy, on touche à l’une des pierres angulaires de l’identité auxerroise. Oubliée du classement en 1936 lors de la création des premières AOC bourguignonnes, Irancy n’a obtenu son propre statut qu’en 1999. Une reconnaissance tardive, mais indiscutable, à la mesure de ce vignoble exigeant en amphithéâtre surplombant la vallée de l’Yonne. Ici, le pinot noir prend des accents uniques, car il dialogue avec un cépage quasi oublié ailleurs en Bourgogne : le césar. Les vignerons sont autorisés à en incorporer jusqu’à 10%, ce qui offre à certains Irancy une puissance, une profondeur tannique et un parfum de fruits noirs, de poivre ou de violette peu communs à cette latitude. Le terroir d’Irancy est également singulier :

  • Exposition plein sud/sud-ouest : qui garantit une maturation optimale des raisins, rare si loin au nord.
  • Sol de calcaires et marnes du Jurassique supérieur : ils apportent à la fois densité et minéralité.
  • Microclimats variés, alliant influences riveraines et effets de pente.

Ce vin, jadis convoité sur les tables parisiennes (le canal de l’Yonne facilitant son acheminement vers la capitale dès le XIX siècle - Source : INA), est aujourd’hui célébré pour sa capacité à vieillir harmonieusement. Certains millésimes plus solaires tutoient les grands rouges bourguignons, tandis que d’autres, plus frais, jouent la carte d’une tension vive et d’une belle fraîcheur. Le style varie de l’élégance veloutée à une rusticité assumée, rendant chaque bouteille expressive et marquée par son année.

Saint-Bris : la signature unique du sauvignon en Bourgogne

C’est une surprise pour beaucoup : la seule appellation de Bourgogne dédiée au sauvignon se trouve dans l’Auxerrois ! Saint-Bris, reconnue en AOC en 2003, s’étend sur 133 hectares (Chiffres 2022, Source : BIVB), principalement autour du village éponyme, mais touche également Chitry, Irancy, Quenne et Vincelottes. Contrairement à la tradition bourguignonne centrée sur le chardonnay pour les blancs, Saint-Bris met en lumière le caractère vif et herbacé du sauvignon, décliné en deux variantes : sauvignon blanc et sauvignon gris (l’un et l’autre autorisés).

  • Arômes typiques : agrumes pressés, bourgeon de cassis, notes de silex, parfois une touche saline. À l’aveugle, beaucoup songeraient à un Sancerre ou à un vin du Val de Loire ! Mais la tension minérale du terroir kimméridgien donne une signature toute auxerroise.
  • Accords de prédilection : huîtres, poissons crus, crottin de Chavignol, sushi.

Sa singularité s’explique par des contingences historiques et géologiques. Le phylloxéra et la crise du XIX avaient poussé les vignerons à replanter du sauvignon (moins sensible à certaines maladies), perpétuant ainsi une tradition à contre-courant du reste de la Bourgogne. Pour l’anecdote, certains anciens regrettent encore le « grisel », nom local du sauvignon gris, à la robe rose très pâle. Aujourd’hui, Saint-Bris incarne l’ouverture et la diversité de l’Auxerrois.

Chablis et les autres blancs de l’Auxerrois : une identité marquée par la terre et la lumière

Si l’on pense « bourgogne blanc », on cite d’abord Chablis. Mais tous les blancs d’Auxerrois ne sont pas des Chablis ! Quelles sont donc les frontières et les critères qui séparent le roi Chablis de ses voisins ? Le vignoble chablisien — plus de 5600 hectares, selon le BIVB — occupe une zone précisément délimitée, notamment sur le plan géologique. Chablis, Chablis Premier Cru et Grand Cru poussent exclusivement sur des sols dits « kimméridgiens », formés il y a 150 millions d’années, composés de marnes mêlées de petites huîtres fossiles (exogyra virgula). Cette matrice géologique joue un rôle central :

  • Chablis classique : nez de pierre à fusil, d’agrumes, bouche tendue, droite, souvent marquée par la minéralité et une acidité citronnée. Le tout sans artifice boisé.
  • Chablis Premier Cru : davantage de complexité et de volume, avec des notes de fruits blancs mûrs ou de fleurs séchées, selon le climat.
  • Chablis Grand Cru : puissance, onctuosité, capacité de garde hors norme (jusqu’à 20 ans pour les meilleures bouteilles), et cette fameuse trame saline qui pourrait presque faire croire à un vin de la mer.

Ailleurs dans l’Auxerrois, le chardonnay s’exprime souvent sur d’autres types de sols — plus argileux, parfois marneux ou même sableux dans certains secteurs. Les vins y gagnent alors en rondeur, en fruité immédiat, parfois au prix d’une minéralité moins tranchante. C’est là toute la richesse comparative du secteur : gouter à l’aveugle un Bourgogne Côte d’Auxerre blanc puis un Chablis permet, en une gorgée, de ressentir la main de la géologie sur le vin.

Les patrimoines de terroirs : diversité des sols et microclimats dans l’Auxerrois

Ce qui frappe l’observateur curieux, c’est l’extraordinaire chevelu des sols autour d’Auxerre :

  • Le plateau chablisien : dominance des marnes kimméridgiennes, donnant des vins droits et ciselés.
  • Les coteaux de l’Yonne : alternance de calcaires durs, d’argiles à silex, mais aussi de veines de marnes et même d’éboulis caillouteux.
  • Les vallées latérales (Vaux, Quenne, Coulanges…) : subtil assemblage de couches géologiques, générant une diversité de styles, parfois plus souples, plus gourmands.

À cela s’ajoutent les effets marqués de microclimats. Les brumes matinales glissent souvent le long de l’Yonne, allongeant les maturités, tandis que certaines parcelles très exposées profitent de chaleur et de vent, rendant parfois possibles des vendanges précoces même dans une année fraîche.

  • Exemple concret : en 2022, le village de Chitry a atteint les maturités phénoliques près d’une semaine avant certaines parcelles de Chablis pourtant plus au sud — reflet d’une exposition optimale et d’un sol drainant.

La signature du climat auxerrois, c’est donc cette capacité à exprimer, côte à côte, des styles d’une rare diversité — du pinot noir fin et fruité à Irancy, jusqu’au sauvignon saillant de Saint-Bris, en passant par le chardonnay sur la minéralité ou sur le fruit selon la commune.

Reconnaissance en appellation : un subtil jeu d’histoire, de terroir et de qualité

Pourquoi Irancy ou Chitry jouissent-ils d’une AOC spécifique, alors que d’autres communes ne bénéficient que de la mention régionale ? La réponse tient à un mélange de critères, rigoureux et parfois teintés d’histoire humaine.

  1. Antériorité de la renommée : certains villages d’Auxerrois (Irancy, Saint-Bris) étaient célébrés à Paris ou à Londres dès le XVIII siècle. Leur réputation a servi de base lors des révisions des décrets d’appellation.
  2. Signature irremplaçable du terroir : seuls sont reconnus en AOC ceux dont les sols, le climat, l’encépagement permettent d’obtenir des vins présentant à coup sûr des caractères et une qualité jugés supérieures et constants. À l’aveugle, un Irancy ne saurait être confondu avec un Coulanges.
  3. Mobilisation collective : obtenir une AOC est aussi le fruit d’une lutte continue des syndicats de vignerons, capables de documenter leurs pratiques, leurs délimitations, le tout dans la droite ligne de l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité).

Certaines communes produisent d’excellents vins mais n’ont pas persévéré – pour des raisons économiques, historiques ou politiques – dans la quête d’une appellation propre. C’est aussi cela, la mosaïque auxerroise : une échelle où chaque terroir cherche à se dire et à se montrer, dans le respect d’exigences collectives strictes. De nombreux villages continuent d’œuvrer pour une reconnaissance plus large ou un classement en « Premier Cru » de certaines de leurs parcelles (chose très rare pour l’instant dans l’Auxerrois). (Source : INAO, BIVB, ouvrage "Les Vins de Bourgogne", Sylvain Pitiot & Jean-Charles Servant)

Années, vignerons, climat : l’Auxerrois, laboratoire vivant de la Bourgogne

L’Auxerrois tient sa richesse de ce va-et-vient permanent entre tradition et redécouverte. Les millésimes récents, comme 2021 — marqué par le gel de printemps — ou 2018, année de maturité extrême, témoignent de la résilience et de l’adaptation des vignerons. D’un village à l’autre, d’une parcelle à l’autre, l’histoire s’écrit dans le verre et dans l’effort quotidien, réaffirmant le lien inaliénable entre le sol, le climat et l’homme. Entre la rigueur minérale de Chablis, les rouges charnels d’Irancy, la fraîcheur insolente de Saint-Bris ou la délicatesse de la Côte d’Auxerre, il y a une promesse : celle de découvrir dans une même région une gamme de vins aussi variée que cohérente. L’Auxerrois offre ainsi au passionné matière à étonnement, à fidélité et à respect, lors de chaque dégustation.

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