2 octobre 2025

Voyage sensoriel : Ce qui fait le goût unique des vins de l’Auxerrois

Auxerrois : la singularité d’un vignoble en Bourgogne

Au cœur de la Bourgogne septentrionale, l’Auxerrois tisse une identité revendiquée, encore discrète mais fascinante. Ce vignoble, centré autour d’Auxerre et de ses alentours (Chitry, Saint-Bris-le-Vineux, Irancy, Coulanges-la-Vineuse, Escolives…), cultive depuis des siècles l’art de la diversité et de la subtilité. Avant le phylloxéra, la couronne d’Auxerre couvrait près de 40 000 hectares, selon le BIVB ; aujourd’hui, elle en compte environ 1 400 – preuve de sa résilience (BIVB).

Mais que recouvre exactement ce terroir en matière d’arômes et de saveurs ? Quels traits les distinguent, au nez comme en bouche ? Loin des stéréotypes, découvrons cette palette sensorielle unique, fruit du climat, du sol, de l’histoire et du génie vigneron auxerrois.

Les grands cépages au service des arômes

Ici, chaque cépage raconte sa propre histoire aromatique. L’Auxerrois n’est pas un vignoble monocorde et ses vins puisent dans un éventail de cépages à la typicité marquée :

  • Chardonnay (blancs d’AOC Bourgogne et Chitry)
  • Sauvignon blanc (star de Saint-Bris)
  • Pinot noir (à Irancy et en rosé ou rouge ailleurs)
  • Aligoté (cuvées vives et sincères)
  • César (très ancien, rare, compagnon du pinot noir à Irancy)
  • Gamay (en assemblage principalement pour les rosés et quelques rouges)

Cette diversité joue un rôle clé dans la mosaïque sensorielle des vins de la région.

Des terroirs qui sculptent des profils aromatiques précis

Le secret ne tient pas seulement au cépage, mais à la terre. Les vignes auxerroises s’étendent sur un patchwork de sols :

  • Kimméridgien (marnes, calcaires coquilliers), matrice du Chablisien, mais présent à Irancy, Saint-Bris, Coulanges…
  • Portlandien (calcaires à grains fins)
  • Argilo-calcaires

Ces terres confèrent aux vins fraîcheur, tension minérale, finesse et structure. Auxerrois signifie souvent acidité joyeuse, longueur sur le sel et notes pierreuses en blanc, mais aussi une certaine robustesse mesurée dans les rouges.

Les blancs de l’Auxerrois : éclats de pierre et de fruits

La particularité des blancs du Grand Auxerrois tient dans ce fil tendu entre minéralité, vivacité et arômes fruités ou floraux. Chaque cuvée joue une partition originale selon le cépage :

Chardonnay : élégance ciselée et minéralité

  • Nez : Agrumes frais (citron, pamplemousse), pomme verte, amande, parfois une touche de fleur d’acacia et de silex.
  • Bouche : Tension acide, persistante, avec une finale minérale presque iodée – un écho des collines kimméridgiennes. Souvent plus vif et ciselé qu’un chardonnay de Côte de Beaune.

À Chitry ou à Coulanges, certains chardonnays développent une pointe saline – une caractéristique recherchée, accentuée par les vinifications peu interventionnistes, qui laissent parler les sols (La Revue du vin de France).

Sauvignon blanc : exubérance retenue, signature de Saint-Bris

  • Nez : Groseille à maquereau, bourgeon de cassis, zeste de pamplemousse, parfois des notes herbacées.
  • Bouche : Acidité vive, arôme de fruits exotiques à maturité (passion, mangue, litchi léger), typicité mentholée et pointe minérale. Bien différent d’un voisin du Sancerrois, le Saint-Bris allie énergie nordique et fruité expressif, parfois avec une trace saline, presque crayeuse.

Unique en Bourgogne, le Saint-Bris (près de 140 hectares) développe des arômes de fruits blancs et jaunes, avec cette fraîcheur qui titille les papilles.

Aligoté : fraîcheur croquante et bouquet discret

  • Nez : Pomme, poire, citron, fruits du verger, parfois un soupçon d’aubépine.
  • Bouche : Attaque vive, fraîcheur désaltérante, amers délicats en finale.

En Auxerrois, l’aligoté joue la carte de la simplicité, mais avec brio : parfait pour restituer la pureté du terroir.

Les rouges de l’Auxerrois : fruit, épices, élégance et rusticité mesurée

Les rouges du vignoble, principalement à base de pinot noir, offrent une belle palette aromatique, renforcée ou teintée, à Irancy, par le césar.

Pinot noir auxerrois : une expression nordique et charmeuse

  • Nez : Cerise griotte, fraise, framboise, pivoine ou rose fraîche. Quelques notes légèrement poivrées (épices douces).
  • Bouche : Tannins modérés, acidité vibrante, chair souple, trame fruitée persistante. Parfois, des pointes de sous-bois ou de réglisse à la garde.

À Irancy, la cerise noire règne, mêlée de violette et de pivoine. Mais ce pinot prend souvent un caractère plus ferme et frais que ses cousins plus au sud, notamment grâce à la présence du césar.

César : le poivre et l’histoire en bouteille

  • Nez : Fruits noirs (cassis, mûre), poivre noir, note sauvage et musquée.
  • Bouche : Puissance, structure tannique, bouche charnue et presque rustique, mais toujours équilibrée par l’acidité auxerroise.

Cépage rare, aux origines antiques — probablement apporté par les légions romaines, d’où son nom —, le césar ne compose que 10% à 15% des cuvées d’Irancy, mais il marque de son empreinte les vins de garde de cette appellation (Terre de Vins).

Gamay, rosés et effervescents : gourmandise et fraîcheur

Le gamay, moins présent, apporte gourmandise et fruits rouges acidulés ; les rosés du Grand Auxerrois s’en inspirent, livrant fraise, groseille, chair de pêche et vivacité, dans une salinité saline, parfaite sur les terrasses d’été.

La patte du vigneron : entre tradition et recherche d’authenticité

Les vins de l’Auxerrois, c’est aussi un travail d’artisan, à la recherche du juste geste. Ici, la taille courte, le travail des sols, l’observation du climat (les gelées printanières sont redoutées, souvenons-nous de 2016, 2017, 2019 et 2021) influencent non seulement la quantité mais aussi la concentration aromatique.

Nombre de domaines auxerrois délaissent les fûts neufs pour mieux révéler la fraîcheur et la minéralité, préférant des fermentations lentes, parfois en cuve ou de vieux tonneaux. Ceci permet d’exprimer la netteté des arômes primaires, sans masquer la signature du terroir.

Signe des temps, la conversion en agriculture biologique ou en biodynamie avance dans la région : plus de 15% du vignoble selon le BIVB en 2023, contre environ 7 % dix ans plus tôt. Cela se ressent dans le verre par une intensité aromatique accrue, une vibration supplémentaire, voire même des notes légèrement fumées ou terreuses sur certains millésimes récents.

Quelques anecdotes et repères marquants

  • En 2022, la Coopérative de Bailly-Lapierre (fondée en 1972) vend près de 3,5 millions de bouteilles de Crémant de Bourgogne, dont une large part issue des vignes auxerroises – preuve de la vivacité de l’effervescence fruitée et florale du secteur (source).
  • Le seul vignoble de Bourgogne à revendiquer le sauvignon est bien le Saint-Bris. Nulle part ailleurs on ne retrouve cette surprenante alliance de vivacité, d’arômes de cassis et de finesse minérale.
  • Certains chardonnays issus de vieilles vignes (plus de 40 ans) à Chitry développent, au vieillissement, des touches de noisette et de miel d’acacia, preuve d’une complexité insoupçonnée.
  • Selon les millésimes, les crues de l’Yonne apportent parfois un supplément aromatique, rehaussant le profil salin ou fruité, ce que les anciens appellent la “marque de la rivière”.
  • L’usage du césar remonte à la période romaine, et des fouilles à Escolives témoignent de la présence de cuves et d’outres à vin dans cette région dès le IIe siècle (source).
  • La vendange manuelle reste la règle sur les meilleures parcelles, préservant l’intégrité aromatique, notamment sur les raisins destinés aux effervescents et aux grands rouges.

Savourer l’Auxerrois, c’est lire entre les vignes

Explorer les arômes et saveurs des vins auxerrois, c’est s’offrir un voyage gustatif au fil d’une terre fière et authentique. Ces vins se distinguent par leur fraîcheur minérale, leurs fruits à la chair vive, leurs épices fines, mais aussi la texture qui sait allier modestie et intensité. Ils sont le reflet du climat continental tempéré, des brumes matinales de l’Yonne ou du soleil joueur sur les pentes de Saint-Bris.

Que l’on verse un verre de chardonnay de Chitry, un pinot noir d’Irancy, un aligoté espiègle ou une cuvée tout en vivacité de Saint-Bris, chaque gorgée résonne d’une histoire : celle d’hommes et de femmes qui façonnent les paysages tout autant que les saveurs.

La prochaine fois qu’une bouteille de l’Auxerrois s’invitera sur votre table, que ce soit lors d’un apéritif d’été ou à l’ombre d’une cheminée, prenez le temps de respirer profondément dans le verre. Vous y retrouverez tout un terroir et la promesse de savoureuses découvertes.

En savoir plus à ce sujet :