12 juillet 2025

L’empreinte singulière du Chardonnay auxerrois face à la Côte de Beaune

Deux terroirs, une même âme : naissance d’un cépage voyageur

Le Chardonnay incarne l’élégance bourguignonne dans le monde entier, mais il ne s’exprime jamais de la même manière d’un bout à l’autre de cette mosaïque de terroirs. Lorsque l’on s’attarde sur l’Auxerrois et la Côte de Beaune, l’on découvre deux interprétations nuancées d’une même promesse, nées d’une géographie, d’un climat et d’un héritage humain uniques.

L’Auxerrois — autour d’Auxerre, Chitry, Saint-Bris, Coulanges-la-Vineuse — se situe à la frontière du Grand Auxerrois et du Chablisien, à une centaine de kilomètres au nord de Beaune. Ici, le Chardonnay partage la vedette avec le Pinot Noir et l’Aligoté, bien qu’il ait retrouvé, depuis quelques décennies, une place de choix dans la hiérarchie locale.

La Côte de Beaune, quant à elle, brille comme un joyau du vin blanc sec, abritant certains des plus célèbres villages viticoles — Meursault, Puligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet — sur moins de 30 kilomètres, nichés sur les meilleurs coteaux entre Beaune et Santenay. C’est le berceau du Chardonnay en version « universelle », reconnu pour sa profondeur, sa complexité, et son inimitable tension.

Écho du sol : la richesse sous nos pieds

La notion de terroir ne se limite pas ici à la roche-mère ; elle se frotte au temps, aux pluies, aux brouillards matinaux et à la main du vigneron.

Des terroirs contrastés

  • Auxerrois : Le substrat géologique de l’Auxerrois s’apparente à celui du Chablisien : des sols majoritairement argilo-calcaires, marqués par la présence du célèbre Kimméridgien (mélange de marnes et de petites huîtres fossiles). La proportion d’argile y est souvent plus généreuse qu’en Côte de Beaune, conférant au vin une bouche plus tendre, parfois moins ciselée, mais volontiers plus envoutante par sa rondeur.
  • Côte de Beaune : On y retrouve certains des plus purs calcaires jurassiques — la fameuse « pierre de Chassagne » ou les calcaires marneux de Meursault — qui assurent à ces crus une minéralité racée et une structure d’une grande finesse. Les expositions sud-est favorisent la maturité sans excès, préservant fraîcheur et équilibre.

Selon les travaux de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et du BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne), la Côte de Beaune compte moins de 2000 hectares consacrés au Chardonnay, contre environ 650 hectares dans le Grand Auxerrois (Source : BIVB). Un rapport qui en dit long sur le poids historique et qualitatif accordé à chaque terroir.

La main du vigneron : entre tradition, audace et adaptation

Les différences d’approche, parfois ténues, écrivent à elles seules des histoires de Chardonnay distinctes selon le village et l’époque.

  • Auxerrois : Pendant longtemps, le Chardonnay fut ici souvent vinifié en assemblage, ou réservé aux crémants et effervescents. Depuis les années 1990, encouragés par la reconnaissance croissante des vins de Chablis et de la Bourgogne, les vignerons de l’Auxerrois ont redoublé d’efforts pour vinifier en sec, en monocépage, et parfois en barrique pour les plus ambitieux. Les élevages restent toutefois mesurés : on privilégie l’acier inoxydable ou de vieux fûts pour garder la fraîcheur et éviter l’exubérance boisée.
  • Côte de Beaune : Ici, l’art du fût est presque un rite initiatique. La proportion de bois neuf peut atteindre 20% à 30% dans les grands blancs, dosée au plus juste pour ne jamais dominer la personnalité du terroir. La maîtrise du bâtonnage (remise en suspension des lies) est élevée au rang de technique signature, contribuant à cette texture ample et crémeuse typique de la Côte de Beaune.

À la dégustation : portraits croisés des Chardonnay

À l’aveugle, comment reconnaître un Chardonnay de l’Auxerrois d’un Côte de Beaune ? Voici quelques clés, nées de centaines de verres partagés et d’années d’observation attentive.

Auxerrois : l’équilibre de la fraîcheur et de la rondeur

  • Robe dorée pâle à reflets verts
  • Nez expressif, sur les fleurs blanches (aubépine, acacia), la pêche de vigne, la brioche fine
  • Bouche fraîche, portée par la minéralité, mais plus souple, parfois suavement miellée ou relevée par une note de pomme mûre
  • Finale souvent sans lourdeur, d’une buvabilité remarquable qui accompagne aussi bien des fruits de mer que des fromages frais comme l’Epoisses jeune

Des profils similaires se dessinent sur les Chardonnays de Chitry ou de Coulanges-la-Vineuse : réflexions pures du fruit, tonalité légèrement saline, parfaits compagnons de l’apéritif ou de la cuisine printanière.

Côte de Beaune : profondeur et verticalité

  • Couleurs plus intenses, dorées franches, parfois ambrées avec le vieillissement
  • Nez foisonnants, entre pain grillé, noisette fraîche, confiture de citron et pierre chaude après la pluie
  • Bouche ample, sphérique, allant crescendo jusqu’à une finale vibrante, taillée pour la garde
  • Grande capacité de vieillissement : certains Meursault ou Puligny-Montrachet traversent 15, voire 20 ans tout en gagnant en complexité

La minéralité y est souvent moins saline qu’à Chablis ou dans certaines parcelles auxerroises : elle s’habille d’une texture crémeuse, d’une tension qui s’étire, signature inimitable des grands climats.

Chiffres, anecdotes et histoire récente

  • L’essor qualitatif de l’Auxerrois : Si les surfaces de Chardonnay sont restées stables en Côte de Beaune, elles ont doublé dans l’Auxerrois depuis 25 ans (La Vigne). Le concours des Vins du Grand Auxerrois a vu, en 2022, plus de 35 médailles pour des Chardonnays secs d’AOC Bourgogne Côte d’Auxerre, Bourgogne Chitry ou Coulanges.
  • La météo, juge de paix : L’année 2021 a marqué les deux régions par un gel historique en avril : dans l’Auxerrois, 80% du potentiel de récolte fut perdu en Chardonnay sur certaines parcelles (Source : Vin & Société). Pourtant, la résilience des vignerons a permis de retrouver des vins droits, concentrés, parfois moins généreux, mais au relief aromatique saisissant.
  • Prix et accessibilité : Les grands crus de Côte de Beaune caracolent dans une fourchette de 50 à 300 € la bouteille pour les plus recherchés (ex : Montrachet, Corton-Charlemagne), contre une moyenne de 9 à 18 € pour d’excellents Chardonnays de l’Auxerrois en AOC village ou régionale (La Revue du Vin de France). Un rapport qualité-prix qui séduit aujourd’hui de plus en plus d’amateurs.

Des accords mets et vins révélateurs de caractère

Ce n’est pas un hasard si le Chardonnay auxerrois s’invite si souvent sur les tables bourguignonnes populaires. Sa finesse florale, sa délicatesse en bouche, en font l’allié fidèle de la gougère, de la truite meunière, ou du fromage frais persillé.

  • Auxerrois : idéal sur les terrines de volailles, crottins de Chavignol jeunes, salades croquantes
  • Côte de Beaune : oserez-vous la richesse d’un Meursault sur une poularde aux morilles ? Ou la tension d’un Puligny avec des coquilles Saint-Jacques snackées ? Ces bouteilles magnifient la complexité des grands plats en sauce ou des fruits de mer nobles.

Une invitation à la redécouverte : l’Auxerrois, nouvelle frontière du Chardonnay bourguignon ?

Alors que la Côte de Beaune continue de dicter les codes du blanc prestigieux, l’Auxerrois avance, discret mais sûr de ses qualités, dans le sillage des grands. Le climat changeant oblige chaque vigneron à réinventer son art, à rechercher toujours plus la pureté du fruit, la justesse de l’équilibre.

Les Chardonnay de l’Auxerrois apportent aujourd’hui un souffle nouveau à une Bourgogne qu’on croyait figée : accessibles, lisibles, pleins de vie, ils invitent à redécouvrir des terroirs restés longtemps dans l’ombre. Pour tout passionné, de nombreux vignerons audacieux ouvrent grand leurs portes, offrant le luxe rare d’une rencontre vraie entre le vin, la terre — et ceux qui la font vivre.

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