22 juin 2025

Irancy : Le rouge singulier des coteaux auxerrois

Irancy en chiffres : un bijou confidentiel de l’Yonne

  • Appellation Village : AOC depuis 1999 seulement, après des siècles d’existence viticole
  • Superficie : autour de 170 hectares plantés, soit à peine 1% de la surface totale des Bourgognes rouges (source : BIVB, 2023)
  • Production annuelle : environ 5 000 hectolitres par an, soit moins de 700 000 bouteilles
  • 13 climats communaux reconnus, nombreux lieux-dits vinifiés séparément
  • 17 vignerons et 4 caves coopératives actives en 2023

À l’échelle de la Bourgogne, Irancy reste donc une toute petite production. Cela en fait une rareté, convoitées par les amateurs éclairés et les cavistes en quête de singularités.

L’histoire d’Irancy : entre la Seine, la cerise et la vigne

Irancy, c’est d’abord une vieille terre de vignerons, dont la trace s’enracine dès l’Antiquité – certains auteurs évoquent la présence romaine et des débuts de la viticulture dès le Ier siècle (source : “Les Vins de l’Yonne” - J.-F. Bazin).

Mais le vin d’Irancy connaît son envol à partir du Moyen Âge. Dès le XIIIe siècle, il est expédié à Paris par la rivière Yonne (d’où le succès de l’appellation “Vins de l’Auxerrois” dans les tavernes parisiennes). Le phylloxéra, la concurrence des vins du Midi et la crise agricole du XXe siècle laissent le vignoble meurtri, passant de 3200 hectares en 1860 à moins de 100 hectares à la fin du XXe siècle.

La renaissance d’Irancy s’opère dans les années 1980, portée par quelques familles de vignerons opiniâtres (notamment les Colinot ou Benoist, pour ne citer qu’eux) qui investissent dans la replantation, la vinification de qualité et l’obtention de l’AOC. Un véritable sursaut qui replace Irancy sur la carte des vins de caractère.

Un terroir singulier au cœur de l’Auxerrois

Ce qui marque d’emblée le visiteur à Irancy, c’est le cirque naturel : le village est tapissé de vignes qui dévalent des pentes soutenues, modelées par une géologie complexe.

Une géologie digne des plus beaux crus de Bourgogne

  • Le calcaire kimméridgien : présent à Chablis, Sancerre, Irancy en partage l’héritage. Ces marnes riches en fossiles marins apportent minéralité et structure.
  • L’argile : selon les parcelles, elle retient l’eau et favorise une maturité lente, essentielle à la subtilité aromatique du Pinot Noir local.
  • L’exposition : Sud, Sud-Ouest majoritairement, préservant la vigne des assauts du gel printanier et assurant une belle maturité.

La mosaïque de parcelles, souvent minuscules, re-haussées par les “climats” identifiés (Les Mazelots, Palotte, Les Cailles, etc.) donne à chaque bouteille une expression subtilement différente, renforçant le caractère à part de l’appellation.

Le Pinot Noir, et son allié oublié : le César

À Irancy, le Pinot Noir règne en maître, comme sur l’immense majorité du vignoble bourguignon. Mais Irancy reste la seule appellation de Bourgogne à pouvoir, officiellement, assembler du Pinot Noir et du César, cépage tout droit venu de l’époque romaine.

  • Pinot Noir : 95% des surfaces environ, il apporte finesse, acidité rafraîchissante, et une trame de petits fruits rouges (cerise, framboise, groseille...)
  • César : jusqu’à 10% autorisé dans l’assemblage – ce cépage puissant, aux tanins marqués, fut jadis majoritaire. Il dote les meilleurs Irancy d’une structure inédite et d’un potentiel de garde remarquable.

On raconte que l’intensité et la charpente des Irancy d’époque étaient recherchées par les grandes maisons parisiennes précisément pour ces notes de fruit noir, de poivre, et cette rondeur tannique atypique.

Style et personnalité : un vin de caractère mais jamais rustique

L’Irancy n’a rien à envier à ses cousins de la Côte de Nuits sur le plan de la complexité. Mais il affirme une identité bien à lui :

  • **Robe** : d’un rubis vif, parfois grenat, rarement opaque.
  • **Nez** : éclat des fruits rouges frais, profondeur délicate de griotte à noyau, une trame florale (violette, aubépine) et parfois, une discrète note de cerise noire, presque kirschée.
  • **Bouche** : à la fois souple et vivace, avec une tension minérale héritée du calcaire. Les versions intégrant du César gagnent en épices et en structure, sans jamais tomber dans la lourdeur.
  • **Vieillissement** : Les beaux Irancy vieillissent remarquablement (jusqu’à 15 ans pour les grandes années, 5 à 8 ans couramment), développant alors des notes de sous-bois, de cuir, et de prune compotée.

Le style se veut à la fois accessible (aucun effet de puissance artificielle) et terriblement attachant. Voilà pourquoi on le retrouve de plus en plus sur les bonnes tables : il séduit les néophytes, et intrigue les palais avertis.

Le savoir-faire des vignerons : tradition, rigueur et audace

À Irancy, la diversité des écoles de vinification impressionne. Si certains domaines perpétuent une tradition bourguignonne marquée (fermentation en cuves bois, pigeage traditionnel, fûts anciens pour l’élevage), d’autres osent des élevages plus courts, ou l’introduction de demi-muids pour arrondir la puissance des années chaudes.

Les choix se font toujours parcelle par parcelle, dans le respect de la mosaïque de terroirs. Les rendements, très mesurés (autour de 50 hl/ha en moyenne selon les années), garantissent une belle concentration. La quasi-totalité des domaines sont aujourd’hui engagés dans une démarche de viticulture raisonnée, voire bio, avec un intérêt grandissant pour l’agroforesterie et le labour à cheval.

À noter que le collectif joue un rôle majeur : la Confrérie des Chevaliers du César d’Irancy relance chaque année des traditions de dégustation et de partage, veillant à la qualité et à la réputation des vins (source : vins-irancy.fr).

Accords et moments : quand découvrir Irancy ?

L’Irancy se distingue par sa grande souplesse à table. Voici quelques idées pour l’apprécier chez soi :

  • Charcuteries artisanales de l’Yonne : andouillettes, terrines ou jambon persillé
  • Volaille rôtie (poulet fermier, pintade) : arrosée de son jus, sur un gratin dauphinois
  • Poissons de rivière grillés : l’acidité du vin trouve une alliance avec la chair tendre de la truite ou du sandre
  • Fromages locaux : soumaintrain, époisses peu affinée, chaource
  • Gibier à plume (perdreau, faisan) : sur un Irancy César plus structuré et patiné

Servi légèrement rafraîchi (14-15°C), il comblera les grandes tablées estivales comme les dîners d’automne. N’hésitez pas à carafer les jeunes millésimes pour libérer tous leurs arômes.

Entre renouveau et investissement : l’Irancy de demain

Si Irancy séduit autant, c’est aussi grâce à la nouvelle génération de vignerons qui, fidèle à la tradition mais ouverte au monde, œuvre pour l’excellence. Les reconnaissances pleuvent : en 2019, la Revue du Vin de France avait classé huit domaines d’Irancy parmi ses « valeurs sûres », et le Guide Hachette salue régulièrement la qualité montante des vins, dont certains obtiennent leurs premières étoiles.

Côté marché, le prix moyen d’un Irancy reste accessible (entre 13 € et 25 € départ domaine pour les cuvées classiques, plus pour les climats mythiques). Mais la cote ne cesse de progresser : en 2023, la demande a connu une hausse de près de 10%, en particulier sur les marchés parisiens et export (source : BIVB).

L’esprit Irancy : la Bourgogne du partage

Irancy n’est jamais un vin de solitude. Il invite, il rassemble, il prolonge la conversation. Sa rareté le rend précieux, mais son accessibilité en fait un formidable trait d’union entre le génie bourguignon et la convivialité de l’Yonne. Les vignerons poursuivent le récit entamé il y a des siècles, mélangeant chaque année la patience, la précision, et un soupçon de folie joyeuse.

Si Irancy est une appellation à part pour les rouges auxerrois, c’est qu’elle parvient à réunir, en une gorgée, la profondeur de la Bourgogne et la fraîcheur de sa campagne, l’histoire des hommes et la grâce des cerisiers en fleurs. Une invitation à la découverte, à poursuivre entre caves, verre en main, et chemins de vigne.

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