19 août 2025

Du caractère à la singularité : La marque du cépage César dans les rouges d’Irancy

Un cépage antique au cœur de l’Yonne

L’histoire d’Irancy et du cépage César résonne comme une légende murmurée entre les rangs de vignes. Planté sur les coteaux abrités du vent, entre Auxerre et Chablis, Irancy porte la mémoire de ce cépage au tempérament affirmé, témoin des siècles et presque unique en Bourgogne. Contrairement à la domination sans partage du pinot noir dans la région, César s’offre comme un trait d’union entre histoire et originalité, sublimant l’identité de ce petit vignoble de l’Yonne.

Originaire du bassin de l’Yonne, ses racines pourraient remonter, selon la tradition, à la colonisation romaine. Le nom même du cépage rappelle les Légions de Jules César, même si les recherches ampélographiques actuelles rappellent la prudence sur l’origine précise (source : BIVB). Aujourd’hui, il occupe environ 5 à 10% de l’encépagement à Irancy, rarement pur, mais inséparable de l’expression la plus authentique des rouges locaux.

Le César : portrait organoleptique d’un cépage singulier

Un profil aromatique qui détonne en Bourgogne

  1. Fruits rouges et noirs intenses : Alors que le pinot noir offre délicatesse et subtilité de cerise, de groseille ou de framboise, le César s’exprime avec vigueur. Il marque les vins d’Irancy de notes massives et franches de mûre, de cassis, de prune noire. Ce sont des arômes que l’on retrouve rarement avec autant de densité dans les rouges de Bourgogne, ce qui les rend immédiatement reconnaissables lors des dégustations.
  2. Épices et sous-bois : Les nuances de poivre, de réglisse, parfois une pointe de laurier, accompagnent la palette fruitée. Avec l’évolution, des effluves de cuir, de humus et de terre humide font leur apparition, enrichissant la complexité des vieux millésimes.
  3. Notes florales sombres : Il n’est pas rare de percevoir une touche de violette ou de pivoine, typique des grandes expressions des rouges structurés.

Les dégustateurs aguerris reconnaissent aisément la signature olfactive du César dans les assemblages d’Irancy. Il donne profondeur et intensité à l’ensemble, différenciant immédiatement ces vins des voisins plus aériens.

La bouche : structure, puissance et charpente

  • Corps robuste et tanins affirmés : Le César, notamment en cépage d’appoint, confère une structure tannique plus prononcée. Là où le pinot noir privilégie finesse et souplesse, César apporte vigueur, colonne vertébrale et une mâche plus marquée en bouche.
  • Acidité bien balancée : L’acidité naturelle reste présente mais s’exprime dans un ensemble plus viril et terrien, contribuant à une bonne capacité de garde (jusqu’à 10-15 ans sur les grandes années, voire plus pour certains flacons expérimentaux, source : Revue des Vins de France).
  • Finale épicée et longue : Grâce à lui, les Irancy affichent une persistance aromatique certaine, portée par une signature légèrement poivrée ou réglissée qui allonge la dégustation.

La part du César dans l’Irancy n’est jamais dominante (prévu dans l’appellation à hauteur de 10% maximum par la réglementation AOC, source : INAO), mais son impact sur la texture et le relief du vin est immédiat.

Le César dans l’assemblage d’Irancy : un équilibre subtil

On le comprend, si le pinot noir règne en maître dans l’Yonne, c’est bien le César qui réveille le caractère d’Irancy. Cependant, le mariage n’est pas sans défi : sa puissance tannique nécessite doigté et patience. L’art des vignerons consiste à doser précisément le pourcentage de César pour ne pas écraser, mais enrober le pinot, tout en donnant au vin une capacité de garde.

  • Rôles du César :
    • Renforcer l’ossature des assemblages,
    • Apporter couleur et concentration,
    • Doté d’une peau épaisse, il intensifie la robe (rubis profond, presque grenat dans les années solaires),
    • Moduler l’expression selon le millésime et la parcelle. 

Les vignerons d’Irancy, en majorité, ne dépassent pas 5 à 10% de César dans leurs assemblages, le plus souvent "à la cuve"— chaque parcelle de César étant vinifiée avec le pinot dès la fermentation, afin de favoriser la fusion des caractères.

Certains domaines élaborent de rares cuvées 100% César, véritables curiosités, souvent plus rustiques, mais d’une authenticité rare pour les amateurs de vins de terroir (exemple : cuvée "César" du domaine Simonnet-Febvre—source : Simonnet-Febvre).

Parlons terroirs : l’influence des sols et du climat sur le César

Le vignoble d’Irancy s’étend sur une mosaïque de sols argilo-calcaires, avec quelques veines marneuses et kimméridgiennes – des terroirs similaires à ceux de Chablis, mais avec une exposition plus favorable à la maturité du raisin rouge. Le cépage César bénéficie ici de la chaleur accumulée sur les meilleures expositions, qui domptent une vigueur parfois excessive et favorisent la maturité phénolique.

  • Sols argilo-calcaires : Leurs propriétés drainantes évitent les excès de vigueur auxquels le César est sujet, préservant la concentration des arômes.
  • Expositions sud, sud-est : Indispensables pour assurer une maturité suffisante. Dans les expositions plus fraîches ou lors de millésimes froids, le César souffre et ses tanins peuvent durcir, rendant le vin austère.

La variabilité du climat nord-bourguignon, marquée à Irancy par des printemps capricieux et des automnes courts, impose souvent au César des maturités incomplètes. C’est pourquoi il reste un cépage d’appoint : l’équilibre et l’élégance restent le privilège du pinot, quand César apporte le supplément d’âme, à condition d’être mûr.

Expressions du César à travers quelques millésimes et domaines emblématiques

Certains domaines poussent la typicité jusqu’à jouer ouvertement la carte du César :

  • Domaine Colinot : reconnu pour sa cuvée « Palotte » et un Irancy « César » presque pur certaines années, avec des arômes profond de mûre et de pivoine, une bouche très tannique, imposant souvent plusieurs années en cave pour s’assouplir (Colinot).
  • Domaine Benoît Cantin : propose des cuvées où le César donne une grande mâche, une robe dense, avec de surprenantes notes de griottes noires et d’épices.
  • Simonnet-Febvre : cuvée parcellaire en pur César, aux arômes puissants, bouche charpentée, vin idéal sur gibier ou viande marinée.

Les années chaudes (2003, 2009, 2018, 2020) magnifient le César, le rendant plus suave, presque solaire, tandis que des millésimes frais le laissent plus raide, réservé aux amateurs de sensations sauvages et d’authenticité terrienne.

Quand et comment déguster un Irancy marqué par le César ?

  • Âge optimal : La plupart des Irancy avec du César s’apprécient pleinement après 4 à 7 ans de bouteille. Les grandes années peuvent aisément dépasser une décennie en cave.
  • Aération : Sur les jeunes cuvées particulièrement structurées, un carafage d’une heure peut être bénéfique pour assouplir les tanins et révéler les nuances fruitées.
  • Accords mets-vins :
    • Viandes mijotées, comme un bœuf bourguignon,
    • Gibiers à plume et à poil (canard, faisan, chevreuil),
    • Fromages à pâte molle ou affinée (époisses, soumaintrain).
  • Verre conseillé : Un calice large permet de bien déployer la palette aromatique spécifique du César.

Perspectives : un cépage entre tradition et renouveau

Le César, longtemps délaissé pour son tempérament viril et sa maturité capricieuse, connaît un regain d’intérêt à la faveur d’années plus chaudes et d’une nouvelle génération de vignerons désireux d’explorer l’identité profonde du terroir d’Irancy. Les débats se poursuivent : faut-il replanter davantage de César pour affirmer la singularité d’Irancy ? Faut-il au contraire préserver sa rareté pour en conserver l’exception ?

Quoi qu’il en soit, ce cépage, véritable fil rouge de l’histoire viticole locale, continue de fasciner. Il symbolise le dialogue entre ce qui se transmet et ce qui se réinvente. Un trésor pour qui veut découvrir la Bourgogne autrement, à travers des vins de caractère, à l’aromatique profonde et à la structure généreuse.

Pour prolonger la découverte : une balade sur les coteaux d’Irancy, la visite de caves centenaires, et la dégustation commentée d’un Irancy « César » à la table d’un restaurant local : voilà une expérience sensorielle qui laissera le parfum du temps et du terroir mémorables.

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