29 septembre 2025

Savoir déguster les vins de l’Auxerrois : l’art subtil de l’ordre

La physiologie du palais : comprendre l’impact de la dégustation en chaîne

Notre palais n’est pas une table rase à chaque gorgée. Lors d’une dégustation, le goûteur “imprime” à chaque vin une partie de ses sensations, qui vient modifier la perception du suivant. Les travaux de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin démontrent qu’après un vin tannique ou fortement aromatique, le palais met jusqu’à 2 minutes à retrouver l’équilibre gustatif optimal (source : ISVV Bordeaux).

  • Les tanins saturent les papilles : En dégustant d’abord un rouge corsé, la bouche peut devenir insensible aux subtilités d’un blanc délicat servi ensuite.
  • Le sucre et l’alcool "masquent" : Un vin moelleux, consommé trop tôt, réduira la sensation de fraîcheur des blancs secs servis après.
  • L’acidité prépare la bouche : Les vins blancs frais et vifs aiguisent l’attention du dégustateur, préparant le terrain aux sensations plus enveloppantes des rouges.

L’ordre n’est ainsi pas un caprice de sommelier mais la clé pour révéler la palette d’un terroir sans que les vins “se fassent de l’ombre”.

Auxerrois : un terroir, plusieurs expressions

L’Auxerrois, autour d’Auxerre et de la rivière Yonne, offre un éventail étonnant de styles grâce à une diversité de sols et de microclimats. Chitry, Irancy, Coulanges-la-Vineuse, Saint-Bris, chacun porte une identité.

  • Les blancs, dominés par les cépages Chardonnay et Sauvignon, expriment souvent une belle vivacité, des notes d’agrumes, de fruits blancs, et parfois une pointe florale ou pierreuse.
  • Les rouges, principalement à base de Pinot Noir, révèlent des arômes de cerise, de fraise, et, à Irancy notamment, une jolie structure tanique et des accents de fruits noirs, rehaussés par le cépage César.
  • Les rosés se distinguent par leur fraîcheur et la gourmandise de leurs arômes de petits fruits rouges.
  • Le Crémant de Bourgogne, présent sur le territoire, apporte une effervescence fine, idéale pour mettre les papilles en appétit.

Pour percer toutes ces subtilités, bâtir un ordre de dégustation logique devient essentiel.

Les grandes règles de l’ordre de dégustation

Depuis les concours internationaux jusqu’aux caves familiales, plusieurs principes guident l’organisation d’une dégustation optimale :

  1. Du plus léger au plus corsé : On débute par les vins les plus fins, souvent les blancs, puis les rosés, pour finir par les rouges et, enfin, les vins moelleux ou liquoreux.
  2. Du moins aromatique au plus expressif : Les vins discrets en arômes précèdent les plus puissants pour éviter qu’un bouquet explosif ne masque le suivant.
  3. Du plus jeune au plus évolué : Les vins jeunes précèdent les vieux millésimes, ces derniers nécessitant souvent plus d’attention pour en apprécier la complexité.
  4. Du sec au sucré : Les vins sucrés, dont la bouche laisse une impression persistante, ferment le ban.

Ces règles répondent à une logique sensorielle éprouvée et validée par des dégustateurs, tant amateurs que professionnels (source : Union des Œnologues de France).

Application concrète aux vins de l’Auxerrois

Dans le contexte auxerrois, dont l’éventail va des crémants citronnés aux rouges profonds d’Irancy, voici quelques exemples pratiques :

  • Commencez par un Crémant : Ses bulles “nettoient” le palais, éveillent les sens, et servent d’introduction joyeuse à la dégustation.
  • Enchaînez avec un Sauvignon de Saint-Bris : Vif, minéral, aux arômes d’agrumes et de buis, il s’exprime pleinement sans être altéré.
  • Poursuivez avec un Chitry blanc (Chardonnay) : Plus ample, il offre des arômes de fruits blancs, parfois de noisette, sur une belle acidité.
  • Passez aux rosés de Coulanges-la-Vineuse : Leurs arômes gourmands et leur légèreté préparent subtilement au passage vers les rouges.
  • Abordez ensuite les rouges souples : Un Coulanges-la-Vineuse rouge jeune, tout en fruits rouges, charme par sa fraîcheur.
  • Culminez avec un Irancy : Tanique, marqué par le Pinot Noir et parfois le César, il exige une bouche réceptive à sa structure et sa profondeur aromatique.

Un exemple de séquence pour une soirée découverte :

  1. Crémant de Bourgogne blanc
  2. Saint-Bris blanc (Sauvignon)
  3. Chitry Blanc (Chardonnay)
  4. Rosé de Coulanges-la-Vineuse
  5. Coulanges-la-Vineuse rouge
  6. Irancy (Pinot Noir, voire César)

Ce type de progression, soutenue par des pauses et parfois un petit morceau de pain, permet de maintenir la curiosité du palais tout au long de la dégustation, sans jamais saturer les sens.

Ce que disent les experts : chiffres, observations, anecdotes

  • 83% des dégustateurs amateurs, interrogés lors de sessions organisées par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, affirment percevoir mieux les différences et subtilités entre les vins lorsqu’ils respectent un ordre de dégustation adapté (Source : Revue des Œnologues, n°189, 2023).
  • Selon l’Union Internationale des Œnologues, il a été mesuré en laboratoire qu’une dégustation commencée par un rouge corsé faisait baisser le score de reconnaissance des cépages blancs suivants de 18% en moyenne, en raison de la persistance aromatique des tanins.
  • Les professionnels rapportent aussi que le taux d’appréciation globale d’une gamme (notation sensorielle) monte de 25 à 30% lorsqu’on respecte la gradation du plus léger au plus charpenté (source : Vinexpo, 2019).
  • Une anecdote locale : lors du Salon du Vin de l’Yonne de 2022, la table “au hasard” (sans ordre) a vu partir la majorité des blancs en demi-cuvée, là où la table structurée en séquence a convaincu les dégustateurs, au point de doubler les ventes des cuvées blanches !

À l’écoute de ses propres sensations : l’ordre mais aussi l’intuition

Si l’ordre aide à respecter une progression logique, chaque palais reste unique. Il est recommandé, lors de dégustations, de prendre des notes, d’aérer les vins complexes, et, parfois, de revenir sur un verre lorsque la ronde des arômes a “évolué” en bouche.

  • Entre chaque vin, rincez votre verre et votre bouche avec un peu d’eau ou de pain neutre — un conseil simple pour réinitialiser vos papilles !
  • Veillez à la température de service : des blancs trop frais anesthésient les arômes, les rouges trop chauds saturent le palais.
  • Prêtez attention à vos propres réactions, et n’hésitez pas à ajuster la séquence si une cuvée semble plus puissante qu’attendu.

Enfin, la réussite d’une dégustation tient autant à la qualité des vins qu’à la convivialité du moment partagé. L’ordre d’apparition n’est pas une chaîne, mais un chemin balisé pour permettre aux terroirs de chanter chacun leur couplet.

Laisser les terroirs s’exprimer dans toute leur nuance

L’ordre de dégustation n’est pas une simple convention, mais un véritable révélateur de la diversité de l’Auxerrois. Respecter un cheminement du plus frais au plus rond, du plus subtil au plus charpenté, permet à l’apprenti dégustateur comme à l’amateur chevronné de capter toutes les nuances du terroir.

C’est ainsi que la singularité de chaque village, la main de chaque vigneron, la poésie de chaque millésime peuvent se raconter avec justesse, sans fausse note, du premier verre au dernier. Un voyage sensoriel où chaque étape prépare et sublime la suivante, pour que les vins de l’Auxerrois révèlent tout leur éclat.

Sources :

  • Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, Bordeaux
  • Union des Œnologues de France
  • Revue des Œnologues, n°189, 2023
  • Vinexpo 2019
  • Confrérie des Chevaliers du Tastevin
  • Salon du Vin de l’Yonne

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