17 mai 2025

Les secrets des parcelles historiques abandonnées : comprendre leurs mutations et reconversions

1. L’héritage historique des parcelles viticoles

Pour comprendre pourquoi certaines parcelles ont été délaissées, il faut d’abord regarder en arrière. Les terroirs viticoles français se sont construits sur des siècles, traversant des périodes prospères mais aussi des crises. Une parcelle historique est bien souvent associée à un savoir-faire ancien, à des cépages rares ou même à des appellations oubliées.

Si certaines de ces parcelles sont devenues les pierres angulaires de régions fameuses comme la Bourgogne ou le Bordelais, d’autres ont souffert d’un manque de reconnaissance ou de bouleversements extérieurs. Prenons l’exemple des vignobles de l’Auxerrois, où certaines vignes, bien qu’ayant un potentiel exceptionnel, ont été progressivement abandonnées.

Les bouleversements du 19e siècle : un tournant décisif

Le 19e siècle a marqué une période dramatique pour de nombreuses parcelles. Les maladies de la vigne, comme le phylloxéra, ont décimé les vignobles. Les propriétaires n’avaient parfois pas les moyens ou le savoir pour replanter, et dans d’autres cas, la propagation du parasite a rendu certaines terres totalement infertiles pour la vigne.

Entre 1870 et 1900, l’Auxerrois a vu ses surfaces viticoles chuter à cause de cette crise. Selon l’INAO, près de 65 % des vignes de certaines régions bourguignonnes ont été détruites par le phylloxéra. Remplacer les ceps détruits avec des porte-greffes américains résistants était coûteux et pas toujours efficace, laissant certaines parcelles historiques sans repreneur.

Quand la guerre décide du sort des parcelles

Les deux guerres mondiales ont également laissé leur empreinte. De nombreux vignerons ont été mobilisés, et certaines vignes ont été laissées à l’abandon. La reprise d’après-guerre n’a pas toujours permis de redévelopper les parcelles délaissées, notamment dans les zones où les infrastructures avaient été détruites.

2. Évolutions économiques et sociales, moteurs d’abandon

Les transformations socio-économiques des XXe et XXIe siècles ont profondément chamboulé l’équilibre économique des vignobles. Certaines parcelles – souvent petites, en pente ou difficiles à cultiver – ont perdu en rentabilité, poussant leurs propriétaires à changer de voie.

L’urbanisation et la pression sur le foncier

Durant les Trente Glorieuses, l’exode rural a transformé de nombreuses régions françaises. En Bourgogne et dans l’Auxerrois, de petits producteurs ont quitté leurs terres pour aller chercher des revenus plus stables en ville. Par exemple, l'expansion de villes comme Auxerre dans les années 1950-1970 a vu des vignes remplacées par des logements ou des zones industrielles.

Certains terroirs viticoles historiquement plantés – souvent en périphérie des agglomérations – ont ainsi vu leurs cépages arrachés pour laisser place au béton.

La concurrence internationale

Une autre raison majeure de l’abandon ou de la reconversion de certaines parcelles historiques tient à la mondialisation. Face aux vins relativement bon marché venant de pays comme le Chili, l’Australie ou l’Afrique du Sud, des régions classiques mais peu reconnues comme l’Auxerrois ont dû revoir leur stratégie. Ces régions n’ont parfois pas pu concurrencer ces nouveaux acteurs sur des segments d’entrée de gamme.

3. Les défis climatiques : redessiner la carte des vignobles

Le changement climatique est sans conteste l’un des plus grands défis pour les parcelles viticoles aujourd’hui. Si certaines régions traditionnellement froides trouvent des opportunités avec des hivers plus doux, d’autres terroirs historiques voient leur production menacée par des vagues de chaleur, des sécheresses ou des épisodes de gel tardif.

Des cépages mal adaptés aux nouvelles conditions

Les cépages traditionnels qui faisaient la réputation d’une parcelle particulière peuvent devenir incompatibles avec le climat actuel. Dans l’Auxerrois, certains climats (petites zones au sein des appellations) autrefois propices au Pinot Noir ou au Chardonnay souffrent d’un manque de régularité dans la maturité des raisins.

  • Les gels printaniers de plus en plus fréquents détruisent les nouvelles pousses.
  • Les canicules provoquent des baisses de rendement et modifient les profils aromatiques.

Pour s’adapter, certains vignerons choisissent d’abandonner les cépages historiques pour planter des variétés plus résistantes comme l’Aligoté doré ou des hybrides récents. Dans les cas les plus extrêmes, les parcelles sont simplement reconverties en terres céréalières.

4. La reconversion : entre innovation et sauvegarde

Face à ces défis, l’abandon systématique d’une parcelle n’est pas toujours la fin de son histoire. En effet, la reconversion offre parfois une nouvelle vie à ces terres viticoles.

Vers une restauration des parcelles disparues

Dans certaines régions comme l’Auxerrois, on observe un élan pour redonner vie à des vignes anciennes. Les passionnés, parfois aidés par des subventions locales, réhabilitent ces parcelles souvent marginales mais pleines de potentiel. C’est le cas de certains coteaux oubliés des communes environnantes d’Irancy ou Saint-Bris.

Cette restauration s’accompagne de nouvelles méthodes culturales – agriculture biologique, taille plus respectueuse – qui répondent à la demande croissante des consommateurs pour des vins authentiques et éthiques.

Quand la vigne laisse la place à d’autres écosystèmes

D’autres fois, la reconversion des anciennes parcelles historiques prend une direction écologique. Les terres sont laissées en jachère ou transformées en prairies, espaces naturels protégés ou encore vergers. Ici, la vigne disparaît pour laisser place à une biodiversité régénérée, essentielle à l’environnement global.

Une histoire en mouvement

Derrière chaque parcelle de vigne abandonnée ou reconvertie, il y a un récit complexe mêlant histoire, économie et environnement. Si certaines pertes sont inévitables, d’autres choix ouvrent des perspectives nouvelles, entre innovation et préservation. À mesure que les défis évoluent, nos terroirs, eux aussi, continuent de s’adapter – un mouvement perpétuel qui constitue l’essence même du monde viticole.

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