13 août 2025

Quand les Pinot Noir de l’Auxerrois affirment leur identité face à la légende de la Côte de Nuits

Deux visages, une même âme bourguignonne : petit rappel géographique et historique

Impossible de comprendre ce qui distingue les Pinot Noir de l’Auxerrois de ceux de la Côte de Nuits sans jeter d’abord un œil sur la carte et l’histoire de la Bourgogne viticole. D’un côté, la Côte de Nuits déploie sa célèbre bandeau de vignes au sud de Dijon, évoquant inévitablement des noms mythiques comme Gevrey-Chambertin ou Vosne-Romanée. De l’autre, l’Auxerrois, plus au nord et en retrait, entoure Auxerre et s’étire sur le vignoble de l’Yonne. Ici, l’appellation la plus connue reste l’Irancy, accompagnée des « Bourgognes » locaux.

Si la Côte de Nuits a bâti sa réputation dès le Moyen Âge, l’Auxerrois a été marqué par les vicissitudes du phylloxéra et du commerce fluvial, ayant donné au Pinot Noir un enracinement différent (source : BIVB, Les Vins de Bourgogne). D’ailleurs le premier recensement officiel du Pinot Noir à Irancy remonte au XVIIe siècle, contrastant avec l’enracinement millénaire de la Côte de Nuits. Cette jeunesse relative offre au Pinot Noir auxerrois une personnalité en quête de reconnaissance.

Terroirs, sous-sols et lattitude : la nature façonne la subtilité

Seule la Bourgogne peut nous offrir deux expressions si singulières d’un même cépage, à moins de deux heures de route. Sur le papier, tout semble pourtant proche : latitude comparable, influence continentale, climats bourguignons. Pourtant, tout se joue à fleur de terre.

  • Côte de Nuits : les vignes sont implantées sur des terrasses argilo-calcaires du Jurassique, avec une exposition est/sud-est idéale pour capter la lumière. Les sols sont caillouteux, favorisant le drainage et la réverbération du soleil. Ici, le microclimat propre à la « Côte » favorise une maturité lente et complète.
  • Auxerrois : les sols argilo-calcaires-du Kimméridgien sont parentés à ceux du Chablisien, d'ailleurs une part des vignes de Pinot Noir d'Irancy jouxte les célèbres terroirs de Chardonnay. L’altitude plus marquée (jusqu’à 200 mètres, contre 250 à 300 pour la Côte de Nuits) donne des nuits plus fraîches et retarde les maturités. Les coteaux présentent parfois plus de sédiments marins, ce qui insuffle au vin une fraîcheur distinctive.

La quantité d’ensoleillement annuelle dans l’Auxerrois est estimée autour de 1 700 heures (source : Météo France), soit environ 10 à 15 % de moins que dans la Côte de Nuits, un détail qui pourrait paraître anodin, mais qui compte justement pour la finesse de la maturation du Pinot Noir.

Savoir-faire et vinifications : deux écoles, une sensibilité

La patte des hommes (et des femmes !) du vin imprime de sa main la personnalité des Pinot Noir. Dans la Côte de Nuits, la tradition de la vinification parcellaire (jusqu’aux microclimats dits « climats » classés à l’UNESCO) fait de chaque cuvée une expression unique, souvent vieillie longuement en fûts neufs (20 à 100 % en fonction des crus). Dans l’Auxerrois, la philosophie s’avère plus pragmatique, presque paysanne, parfois plus souple, toujours respectueuse du fruit.

  • Dans la Côte de Nuits, l’égrappage partiel, les extractions longues et le choix minutieux des bois sont quasi la règle. Résultat : des vins puissants, profonds, structurés taillés pour la garde (jusqu’à 25 ans pour les grands crus).
  • Dans l’Auxerrois, la vinification vise la souplesse : macérations douces, élevages plus courts (souvent 10 à 15 mois, rarement en bois neuf sauf exception). L’idée est de préserver la gourmandise, la tension et la fraîcheur – en clin d’œil à l’histoire locale des "petits rouges de Paris" expédiés par la marine de l’Yonne jusqu’à la capitale.

On pourra noter aussi que l’émergence de jeunes vignerons à Irancy, Saint-Bris-le-Vineux ou Coulanges-la-Vineuse a amené une modernité sensible : retour à l’agriculture biologique, travail précis des levures indigènes, macérations en grappes entières sont quelques tendances que l’on aperçoit aujourd’hui (source : La Vigne Magazine).

La palette aromatique : le frisson de la cerise et la profondeur de la mûre

Ce qui distingue à la dégustation un Pinot Noir d’Auxerrois d’un « Nuits », c’est ce jeu d’équilibre. Côté Côte de Nuits, la robe tire sur le rubis profond, les arômes oscillent entre la mûre sauvage, la griotte, la violette, soulignés par des notes de sous-bois, de cuir ou d’épices en maturité. La bouche s’étire, charnue, avec une puissance qui s’apprivoise avec le temps. Des chiffres ? Selon le BIVB, la Côte de Nuits fournit plus de 80 % des grands crus rouges de Bourgogne, avec des rendements souvent limités à 35-40 hl/ha.

En contrepoint, les Pinot Noir de l’Auxerrois jouent d’une partition légère et fringante. La cerise noire, la framboise et la groseille dominent, souvent accompagnées d’un trait de poivre, de réglisse ou même de violette, mais avec une acidité plus prononcée donnant fraicheur et buvabilité. Les vins sont plus accessibles dans leur jeunesse. Le rendement moyen d’Irancy avoisine 50 hl/ha (source : site de l’AOC Irancy), ce qui favorise cette jolie expression du fruit.

  • Un Côte de Nuits en climat idéal en 2019 titre souvent à 13,5 %, là où un Irancy gravite entre 12 et 13 % alc/vol.
  • L’acidité totale, mesurée en H2SO4, est généralement plus élevée à Irancy (3,8 à 4,2 g/L versus 3 à 3,5 g/L en Côte de Nuits sur millésimes comparables, source : IFV Beaune).

Un jeu de contrastes qu’on retrouve aussi dans la structure tannique : plus ferme, parfois serrée à Nuits-Saint-Georges, plus soyeuse et fine à Coulanges voire aérienne sur certaines cuvées de Saint-Bris-le-Vineux.

Quand l’identité façonne la destinée : renom, prix et effets du climat

Impossible d’éviter le sujet de la célébrité et de la valeur. Un grand cru de Côte de Nuits se négocie aisément entre 200 € et plusieurs milliers d’euros la bouteille (notre-Dame de Vougeot, Romanée-Conti, etc.). Dans l’Auxerrois, un Irancy réputé, produit par un vigneron renommé, peine à franchir la barre des 30 € en boutique spécialisée. Une différence due à l’histoire des terroirs, au classement (aucun grand cru ni premier cru à ce jour dans l’Auxerrois) et à la demande internationale.

Il serait néanmoins injuste de ne pas évoquer le virage climatique que la Bourgogne connaît depuis 30 ans. La Côte de Nuits s’accommode mieux de chaleurs extrêmes grâce à ses expositions, mais l’Auxerrois gagne en maturité, pouvant offrir des Pinots noirs d’une élégance nouvelle sur les millésimes 2018 ou 2020, avec des arômes parfois plus solaires, une gourmandise jamais vue dans les années 1990.

Le charme secret de l’Auxerrois et ce que l’avenir pourrait réserver

Goûter un Pinot Noir de l’Auxerrois, c’est vivre une expérience singulière : celle du plaisir sans complexe, d’une authenticité rustique sublimée par le travail des nouveaux artisans vignerons. La Côte de Nuits, quant à elle, ressemble à ces grandes toiles qu’on ne se lasse pas de redécouvrir, où la complexité naît de l’attente et de la patience.

À l’heure où la Bourgogne resserre les rangs face aux défis du changement climatique et de la pression foncière, l’Auxerrois pourrait bien incarner le futur d’un Pinot Noir plus accessible, à la fraîcheur préservée, qui séduit déjà les amateurs de vins ciselés, de maîtrise et de sincérité. S’il faut une anecdote pour finir, rappelons le retour triomphal de la vigne « César », cépage local dont certains vignerons d’Irancy marient quelques grappes au Pinot Noir pour signer des cuvées telluriques et inimitables, ancrant l’Auxerrois dans la mosaïque précieuse des vins de Bourgogne.

Pour aller plus loin, n’hésitez pas à parcourir les sites du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne ou celui de l’AOC Irancy pour découvrir toutes les nuances du Pinot Noir, qu’il vienne du nord ou du sud de l’Yonne !

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