5 mai 2025

Le renouveau du vignoble auxerrois après le fléau du phylloxéra

Déraciner pour reconstruire : les premières mesures après l’invasion du phylloxéra

Lorsque le phylloxéra a fait son apparition en France dans les années 1860, la Bourgogne, et notamment l’Auxerrois, n’a pas tardé à en ressentir les effets dévastateurs. À la fin du XIXe siècle, la quasi-totalité des parcelles fut contaminée, conduisant à une perte considérable de production. Les vignerons auxerrois se sont très rapidement posé une question cruciale : comment sauver leurs vignes ?

Au départ, nombre de tentatives s’appuyaient sur des solutions empiriques mais peu efficaces. On expérimentait des inondations temporaires des parcelles, ou encore des traitements chimiques au sulfure de carbone pour tenter d’éliminer le phylloxéra, en vain. Les sols de l’Auxerrois, riches en calcaire, se prêtaient mal à ces techniques.

La véritable solution est venue d’une révolution dans la manière d’appréhender la replantation. Les vignerons ont dû accepter une vérité difficile, mais salvatrice : il était impossible de sauver les pieds de vigne européens (Vitis vinifera) sans adopter une aide extérieure… Et cette aide allait venir d’Amérique.

Les porte-greffes américains : des sauveurs inattendus

Le tournant décisif dans la lutte contre le phylloxéra a été la découverte de la résistance naturelle des vignes américaines aux attaques de ce parasite. Contrairement aux variétés européennes, les racines des cépages américains produisaient une sorte de barrière protectrice, empêchant le phylloxéra de s’y installer durablement. Mais comment tirer parti de cette spécificité, tout en conservant les qualités des vignes européennes ?

La solution a pris la forme des porte-greffes. Ces derniers consistaient à planter des racines de cépages nord-américains, sur lesquelles on greffait des plants européens. Ainsi, les cépages locaux pouvaient pousser et produire des raisins tout en restant protégés sous terre grâce aux racines résistantes.

Dans l’Auxerrois, cette technique a permis de sauver des cépages emblématiques comme le pinot noir, le gamay ou encore l’aligoté. Toutefois, l’introduction massive de ces porte-greffes n’a pas été immédiate. Certains vignerons étaient réticents à cette idée, craignant une perte de qualité dans leurs vins. Il a fallu du temps, mais les résultats ont fini par convaincre : la vigueur retrouvée des plants et la qualité des raisins démontraient que ce mariage transatlantique pouvait fonctionner.

Une adaptation du savoir-faire local face à de nouveaux enjeux

Avec l’arrivée des porte-greffes, les vignerons auxerrois ont dû repenser leur manière de travailler. Planter sur porte-greffe nécessitait un savoir-faire spécifique, notamment pour la méthode de greffage. Un art qui demandait patience et minutie, et qui ne s’improvisait pas.

Mais les défis ne s’arrêtaient pas là. Les vignerons ont également dû adapter leurs pratiques culturale face aux nouvelles contraintes apportées par les porte-greffes, comme la gestion des sols ou la densité de plantation. À cela s’ajoutait une autre problématique importante : la sélection des porte-greffes selon les types de sols présents dans l’Auxerrois. Par exemple, les terrasses calcaires des coteaux, typiques de la région, nécessitaient des porte-greffes spéciaux pour s’épanouir dans des conditions parfois rudes.

Cette période d’apprentissage était cependant marquée par un profond attachement à la tradition et au terroir. Les vignerons auxerrois, loin de renoncer à leur identité, ont au contraire vu dans cette crise l’opportunité de perfectionner leur art en intégrant des solutions modernes.

Abandon ou reconversion : des terres qui ont changé de visage

Malgré tous ces efforts, toutes les parcelles auxerroises ne purent être sauvées. La replantation demandait des moyens financiers importants, que certains exploitants ne pouvaient se permettre. Par ailleurs, certaines parcelles jugées trop difficiles à entretenir – notamment celles situées sur des coteaux abrupts – furent abandonnées ou reconverties à d’autres cultures, comme les céréales ou les arbres fruitiers.

Ces décisions ont également été influencées par des transformations économiques et sociales. Avec l’exil rural, beaucoup de petites exploitations viticoles, autrefois exploitées par des familles, furent délaissées. Cependant, il est intéressant de noter que certaines de ces parcelles abandonnées à la fin du XIXe siècle font aujourd’hui l’objet d’une redynamisation, notamment grâce aux efforts de jeunes vignerons passionnés, désireux de renouer avec l’héritage oublié.

La lente mais inarrêtable reconstruction du vignoble auxerrois

La renaissance du vignoble auxerrois après le phylloxéra s’est étalée sur des décennies, voire tout le XXe siècle. Après les premiers greffages au début des années 1900, il a fallu du temps pour retrouver la qualité et la diversité d’antan. La Première Guerre mondiale a également ralenti ce processus, en privant les exploitations de main-d’œuvre. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que la reconstruction a véritablement pris son envol.

  • Dans les années 1950-1960, les vignerons ont développé une nouvelle approche de la viticulture en rationalisant les méthodes culturales.
  • Les coopératives viticoles ont vu le jour, favorisant les échanges de bonnes pratiques et permettant aux producteurs de mutualiser leurs ressources.
  • Dans les années 1980-1990, la montée d’une reconnaissance des vins de terroir a fait naître un nouvel engouement pour l’Auxerrois. Les AOC (Appellations d’Origine Contrôlée) comme l’Irancy ou le Bourgogne Côte d’Auxerre ont permis aux vins de se démarquer sur la scène nationale et internationale.

Ces étapes, marquées par la ténacité des vignerons, témoignent de leur détermination à redonner ses lettres de noblesse à ce coin de la Bourgogne injustement méconnu.

Un vignoble tourné vers l’avenir

Aujourd’hui, le vignoble auxerrois se tient comme un témoignage vibrant de la capacité d’adaptation et d’innovation des vignerons. Entre respect des traditions et adoption des techniques modernes, la région poursuit son chemin, toujours à la recherche de l’excellence.

Certaines initiatives récentes, comme la réhabilitation de parcelles anciennes ou la conversion de domaines à l’agriculture biologique, montrent que l’Auxerrois n’a pas fini d’émerveiller. Dans un monde viticole en quête perpétuelle d’authenticité et de qualité, cette terre semble, plus que jamais, avoir trouvé sa place.

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