24 juillet 2025

César à Irancy : l’âme rebelle des rouges de l’Auxerrois

Un cépage historique attaché au paysage viticole d’Irancy

Irancy, village blotti entre forêts et coteaux à une dizaine de kilomètres d’Auxerre, évoque pour beaucoup l’esprit des grands Bourgognes rouges. Mais un détail distingue la commune : la présence du cépage César, associé au pinot noir dans des proportions variables. Ce cépage à la renommée confidentielle forme une particularité rare dans le paysage bourguignon, au point de devenir un marqueur culturel et sensoriel de l’appellation.

Cultivé sur moins de 5% du vignoble bourguignon, le César ne subsiste aujourd’hui quasi exclusivement qu’à Irancy. Ce choix ne relève ni de la facilité ni du hasard, mais d’une volonté affirmée des vignerons de préserver une spécificité du patrimoine local (source : BIVB – Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne). Le César, selon la légende, serait arrivé avec les légions romaines : si cette origine antique fait partie du folklore, il est attesté qu’il figurait massivement dans les vignes auxerroises dès le Moyen Âge.

Au siècle dernier, face aux difficultés techniques et à la modernisation des pratiques, beaucoup pensaient que le César disparaîtrait — d’autant qu’après le phylloxéra, nombre de parcelles n’ont pas été replantées en César, sauf à Irancy où la tradition a résisté. On cultive aujourd’hui entre 5 et 10 hectares de César sur les 180 que compte la commune (source : site officiel vins-irancy.fr, chiffres 2023).

Le pari des vignerons locaux : entre héritage et adaptabilité

Mais pourquoi persiste-t-on à cultiver ce cépage réputé exigeant ? La réponse se niche dans la ténacité et la vision des vignerons d’Irancy. Le César n’a rien d’un cépage facile : maturité tardive, rendements modestes, sensibilité à la coulure et aux maladies… Autant d’obstacles qui ne rebutaient pas les générations antérieures, et qui aujourd’hui encore n’arrêtent pas certains domaines emblématiques (Colinot, Domaine Verret, Simonnet-Febvre, etc.).

  • Patrimoine vivant : Les vignerons défendent la culture du César comme un acte de mémoire. L’engagement en faveur de la diversité génétique et du respect des assemblages traditionnels est souvent évoqué lors des vendanges.
  • Restituer l’identité locale : Aucun autre village de Bourgogne ne possède un cépage rouge d’appui aussi typé ni aussi ancré dans son histoire. Sur les pentes d’Irancy, le César façonne une part de l’âme du village.
  • Atout climatique : Le réchauffement climatique tend à favoriser, certains millésimes, une maturité plus régulière du César, en limitant mieux qu’autrefois les risques de tanins agressifs ou végétaux.

Ce maintien s’avère donc un mélange de fidélité à l’histoire locale — mais aussi une tentative pragmatique de proposer aux amateurs une signature impossible à confondre avec les autres Pinots Noirs de Bourgogne.

César et Pinot Noir : L’alchimie unique des assemblages d’Irancy

La majorité des vins rouges d’Irancy provient d’assemblages : le Pinot Noir domine, mais le César est autorisé jusqu’à 10% dans l’appellation AOC (selon le décret d’appellation de 1999, source INAO). Certains vignerons en utilisent moins, d’autres choisissent de flirter avec ce seuil, marquant leur style.

Contrairement à d’autres vins de Bourgogne où le Pinot Noir est vinifié seul, l’ajout de César vient ici jouer les trouble-fêtes et complexifier la partition aromatique. L’influence du César se manifeste sur plusieurs plans :

  • Couleur : le César confère au vin une robe plus dense, sombre et soutenue que le Pinot Noir vinifié seul.
  • Structure : Tanins plus présents et trame plus ferme, surtout dans la jeunesse du vin.
  • Cohorte aromatique : Arômes de fruits noirs (mûre sauvage, cassis) et notes épicées (poivre noir, réglisse), parfois même des nuances florales et balsamiques.
  • Capacité de garde améliorée : L’apport tannique, dosé avec justesse, permet aux meilleurs Irancy de traverser le temps avec grâce.

Dans l’ensemble, la proportion de César n’est jamais massive. Même à 5 à 10 %, l’effet est perceptible, signant le vin par une profondeur et un côté rustique assumé, que d’aucuns qualifient d’“authentique”.

César, atout historique ou différenciation contemporaine ?

Il serait tentant de voir dans le César un simple “argument marketing”. Mais la réalité du vignoble d’Irancy nuance ce propos. Historiquement, le César fut planté pour donner de la puissance à des années de Pinot Noir plus pâles ou délicates — une problématique récurrente en climat septentrional. Aujourd’hui, si le réchauffement climatique favorise des pinots plus mûrs, le César n’a pas perdu sa raison d’être. 

À l’heure où l’uniformisation guette les vins de terroir, Irancy revendique haut et fort sa singularité, à rebours des logiques bourguignonnes. Le vin d’Irancy, même fruit d’assemblages variés, conserve toujours ce fil rouge historique et identitaire qu’est le César. Les professionnels le savent : sur les salons, l’évocation de ce cépage suscite la curiosité, nourrit la discussion et ravive les mémoires collectives, loin des clones internationaux.

La synergie entre atout patrimonial et argument de différenciation donne au vin rouge d’Irancy une place unique en Bourgogne : une tradition qui n’a rien de poussiéreux, mais qui continue de vivifier un style recherché par les connaisseurs en quête d’originalité (voir également le dossier du Point sur Irancy).

Flaveurs et textures : la signature du César dans la dégustation

Quels arômes et quelles textures le cépage César introduit-il dans les vins d’Irancy ? À la dégustation, le César peut transformer la trame du vin, même à faible proportion. Les différences sautent aux yeux du dégustateur :

  • Au nez : Outre la cerise griotte typique du Pinot Noir, le César apporte des touches de fruits noirs (cassis, mûre), voire de pruneau, ainsi que des notes animales parfois perceptibles dans la jeunesse (cuir, venaison).
  • En bouche : Les tanins sont plus marqués et invitent à patienter quelques années avant ouverture pour certains millésimes. On retrouve aussi des notes épicées, de poivre noir, et parfois de réglisse ou d’encens.
  • Longueur : L’apport du César se manifeste aussi par une finale plus serrée et persistante, idéale pour accompagner une cuisine terrienne, des viandes en sauce ou un plat bourguignon traditionnel.

Une dégustation à l’aveugle permet souvent à un œil averti de repérer les vins riches en César par leur supplément de profondeur olfactive, et une texture qui assume sa générosité plutôt que de chercher la soie.

Assemblages variables : chaque vigneron son approche du César

La proportion de César utilisée dépend fortement du domaine, du millésime, et parfois même de la parcelle. Certains praticiens ne dépassent pas 2 à 5 % pour un soutien aromatique et structurel, alors que d’autres osent aller jusqu’au 10 % autorisé — quand la maturité et la pureté du raisin le permettent.

  • Domaine Verret : généralement autour de 5 % de César dans ses cuvées classiques, mais certaines parcelles anciennes peuvent frôler les 8 % selon la générosité du millésime (site domaine-verret.com).
  • Domaine Colinot : réputé pour ses vieilles vignes de César, parfois jusqu’à 10 % dans la cuvée emblématique « Les Cailles ».
  • Domaine Christophe Ferrari : privilégie 2 à 3 % pour ne pas brusquer la finesse du Pinot Noir, tout en gardant la mémoire du cépage.

Le choix de chaque vigneron repose le plus souvent sur la maturité du César à la vendange, la volonté de signature du vin, et les attentes du public. Aucun style n’est “meilleur” : certains privilégient la concentration, d’autres travaillent la souplesse et la fraîcheur. Ainsi, le spectre des vins d’Irancy va du rouge presque septentrional à la force tannique assumée.

Irancy au cellier : vins de garde ou plaisir immédiat ?

Grâce au César, les Irancy structurés possèdent généralement un potentiel de vieillissement supérieur aux autres rouges de l’Auxerrois, voire à certains Pinots de Bourgogne plus méridionaux. Le tanin solide du César peut parfois sembler sévère dans les vins jeunes, mais il évolue admirablement avec le temps, gagnant en souplesse et en complexité aromatique.

  • Accès rapide : Les cuvées à faible proportion de César, sur millésime solaire, peuvent s’ouvrir dès 3 à 5 ans après la vendange pour une bouche déjà épanouie.
  • Longue garde : Avec 8 à 10 % de César, certains vins atteignent leur apogée après 8 à 12 ans, voire plus pour les millésimes d’exception.
  • Métamorphose aromatique : Avec le temps, le vin perd son aspect un peu anguleux, laissant la place aux fruits mûrs, à la réglisse, à la truffe et à une touche de sous-bois.

Là encore, tout dépend du style recherché : fraîcheur croquante d’un vin jeune, ou profondeur et suavité d’un Irancy bien mûri. Le César, loin d’être un “cépage de garde” exclusif, permet en réalité au vigneron de jouer sur des palettes temporelles plus étendues que le seul Pinot Noir.

Un cépage, une signature, une invitation à l’exploration

Le César rappelle combien le caractère d’un terroir est affaire de détails choisis et de traditions portées à bout de bras. À Irancy, il ajoute à la fois de la couleur, de la vigueur et une note d’âpreté noble, réveillant la curiosité de tout dégustateur ouvert aux nuances. En persistant à le cultiver, les vignerons font le choix de l’originalité et de la fidélité historique. Difficile, dès lors, de goûter un Irancy sans y chercher — et y trouver — ce supplément d’âme qui fait toute la différence.

Qu’il soit d’abord mûri par la patience en cave ou croqué dans la jeunesse de ses tanins, le vin rouge d’Irancy démontre, millésime après millésime, que la richesse du vignoble auxerrois ne souffre pas la comparaison mais, au contraire, la cultive avec panache.

Cépage Proportion max. dans Irancy AOC Effet principal
Pinot Noir Majoritaire Finesse aromatique, élégance
César 10 % Couleur, tanins, profondeur aromatique

Pour ceux qui cherchent à renouveler leur vision de la Bourgogne, le détour par Irancy s’impose. Tant qu’il y aura des vignerons pour défendre la singularité du César, les vins de l’Auxerrois n’auront pas fini de surprendre.

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