22 août 2025

Sous le vent de l’Auxerrois, l’énigme du Sauvignon de Saint-Bris

Un îlot de Sauvignon blanc au cœur de la Bourgogne : une rareté géographique et historique

Le vignoble de Bourgogne évoque irrésistiblement le Pinot Noir et le Chardonnay, cépages-rois sur ces terres blondes et brunes modelées par des siècles de tradition. Pourtant, une enclave insolite défie cette règle : Saint-Bris, village perché sur les coteaux de l’Auxerrois, cultive un Sauvignon blanc à nul autre pareil. Depuis 2003, l’appellation Saint-Bris AOC fait figure d’exception absolue, étant la seule de toute la Bourgogne à permettre la vinification en Sauvignon blanc et Gris (source: BIVB).

Comment un cépage d’ordinaire synonyme de Loire ou de Bordelais s’est-il enraciné ici, entre cailloux et brumes de l’Yonne ? Pour le comprendre, il faut remonter le fil des siècles, suivre la migration des cépages face aux crises, et sonder le caractère si particulier du Sauvignon issu de ces terres fraîches.

Genèse de l’exception : le Sauvignon, passager clandestin de l’histoire auxerroise

À l’origine, ce n’est pas le Sauvignon qui domine les pentes autour de Saint-Bris-le-Vineux. Jusqu’au XIX siècle, la région, autrefois vaste patrie du vignoble auxerrois fort de plus de 40 000 hectares, ne connaît que peu ce cépage. Mais deux drames vont sceller son destin : l’arrivée du phylloxéra puis le gel ravageur de 1957.

  • Au cours du XIX siècle, la crise du phylloxéra anéantit l’immense majorité des vignes locales (source: Vivino).
  • Jusqu’alors, le cépage Roublot était roi, il servait d’ailleurs de base aux vins de Chablis. Fragile, il ne résiste pas au gel tristement célèbre de 1957.
  • Dans l’urgence, certains vignerons choisissent de regarnir leurs parcelles avec du Sauvignon blanc, cépage remonté de la Loire, mais déjà connu dans la région pour avoir été introduit par quelques vignerons audacieux dès la fin du XIX siècle (Le Figaro Vin).

Ainsi, le Sauvignon plonge ses racines dans les terres blanches et pierreuses de Saint-Bris, donnant naissance à un vin singulier, différent de ses cousins de Sancerre, Pouilly-Fumé ou Bordeaux.

Des terroirs sculptés par le temps : la singularité géologique de Saint-Bris

Ce qui distingue avant tout le Sauvignon de Saint-Bris, ce n’est pas seulement son histoire, mais son dialogue intime avec le terroir. Ici, la géologie chante en sourdine sous les vignes :

  • Des sols kimméridgiens : identiques à ceux des meilleurs crus de Chablis, faits de marnes argilo-calcaires riches en fossiles marins. Cette minéralité confère au vin une trame tendue, presque saline.
  • Une altitude supérieure à la moyenne bourguignonne : les vignes se trouvent entre 150 et 250 mètres, avec des orientations jouant subtilement sur l’expression aromatique.
  • Un climat septentrional : l’Auxerrois subit des printemps frais, des automnes souvent brumeux, ce qui retarde la maturité et favorise les arômes ciselés et la fraîcheur du Sauvignon.

Cette alliance de fraîcheur nordique, de calcaires fissurés et de lumière tempérée, donne au Sauvignon de Saint-Bris une expression différente : moins solaire qu’à Bordeaux, moins explosif qu’à Sancerre, mais doté d’une élégance vibrante.

Une palette aromatique inattendue : le Sauvignon revisité par Saint-Bris

Le Sauvignon est un cépage caméléon, très influençable selon l’endroit où il pousse. À Saint-Bris, le microclimat et le sol lui imposent une autre grammaire aromatique :

  • Nez : plus iodé et crayeux que variétal. Les notes traditionnelles d’agrumes, de buis ou de groseille blanche sont là, mais dans une version moins exubérante.
  • Bouche : en bouche, on cherche moins le côté « punchy » typique de la Loire. Place à la minéralité, aux épices douces, au zeste d’agrumes mûrs (citron confit, zeste de pamplemousse), à la fleur blanche (acacia, sureau), parfois à une légère note fumée.
  • Finale : la finale, souvent longue et saline, s’étire sur une sensation crayeuse, marqueur du sol kimméridgien.

Le Saint-Bris offre ainsi une complexité qui le rapproche presque de certains Chablis, tout en gardant la trame du Sauvignon. Rarement herbacé, il préfère raconter la caresse de la craie et la discrète fraîcheur de l’aube.

Chiffres-clés et secrets de production : l’intimité d’une appellation confidentielle

Saint-Bris, c’est la discrétion incarnée. Quelques chiffres permettent de saisir la singularité et la fragilité de cette appellation :

  • Surface plantée : moins de 130 hectares sur les communes de Saint-Bris-le-Vineux, Chitry, Irancy, Quenne et Vincelottes (source : BIVB).
  • Production moyenne : autour de 7 000 hectolitres par an, soit environ 935 000 bouteilles.
  • Nombre de producteurs : une vingtaine de domaines seulement, dont plusieurs pionniers comme le Domaine Goisot ou le Domaine Bersan.

La vinification s’effectue en cuves inox ou en foudres, rarement en barriques neuves, afin de préserver la pureté du fruit. Les vignerons cherchent à exprimer la typicité du Sol et le caractère du cépage, tout en adaptant les pratiques au fil des millésimes. Selon l’année, certains choisissent d’effectuer une fermentation malolactique pour tempérer l’acidité, mais jamais au détriment de la fraîcheur naturelle du vin.

Rôle sur la scène bourguignonne : entre singularité et reconnaissance tardive

Le chemin vers la reconnaissance a été long pour Saint-Bris. Jusqu’en 2003, on ne parlait que de « Sauvignon de Saint-Bris ». Ce n’est qu’avec la création officielle de l’AOC que la singularité du cru est pleinement reconnue, faisant de Saint-Bris un cas à part.

Cette originalité est à la fois une force et une fragilité :

  • Saint-Bris bénéficie d’un intérêt croissant, notamment chez les amateurs de vins frais et minéraux lassés des classiques bourguignons.
  • Les quantités modestes et la difficulté de production limitent l’essor commercial. On retrouve peu de Saint-Bris hors de France, même si certains domaines (ex : Goisot) commencent à s’exporter (Wine-Searcher).
  • Son profil aromatique singulier nourrit la curiosité des sommeliers et l’intérêt pour les accords mets et vins originaux.

À table avec Saint-Bris : suggestions d’accords et de dégustation

Loin de n’être qu’une curiosité, le Saint-Bris se prête à de subtiles alliances culinaires :

  • Fromages de chèvre, escargots de Bourgogne, tartare de poissons ou sushis. Son énergie minérale tranche dans le gras et la fraîcheur du plat.
  • Fruit de mer : la salinité du vin fait des merveilles avec huîtres ou coquillages.
  • Poulet à l’estragon ou fromages régionaux (Soumaintrain, Chaource).

Il est traditionnellement conseillé de déguster Saint-Bris jeune (2 à 4 ans), mais certains domaines produisent des cuvées plus ambitieuses capables d’intéressants vieillissements sur cinq à dix ans, développant alors des notes de pierre à fusil ou de truffe blanche.

Saint-Bris, un miroir du renouveau auxerrois

Il y a dans les vins de Saint-Bris la mémoire d’une région qui refuse l’oubli, qui réinvente son histoire en alliant tradition et audace. Le Sauvignon blanc, ici, ne chante pas la même mélodie qu’ailleurs : il capte la lumière particulière de l’Yonne, épouse la dureté tendre du kimméridgien, et raconte, dans chaque verre, la ténacité des hommes et des femmes de l’Auxerrois.

Saint-Bris ne cherche pas à rivaliser avec Sancerre ni à singer le Bordelais : il affirme sa propre voie, singulière, précieuse, à l’image de ce coin de Bourgogne qui murmure encore entre les pierres et les rangs de vigne. En redécouvrant ce Sauvignon unique, on découvre un pan méconnu du patrimoine viticole français – et l’un des plus beaux visages de la Bourgogne d’aujourd’hui.

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