2 septembre 2025

Saint-Bris : la singularité du Sauvignon blanc en Bourgogne

Un cas unique en Bourgogne : aux origines d'une exception

Il est des mystères savoureux dans le grand livre des vins de France. L’un d’eux s’est écrit sur les coteaux ventés du village de Saint-Bris-le-Vineux, posé à une douzaine de kilomètres au sud-ouest d’Auxerre. Ici, à rebours des règles séculaires de la Bourgogne, le Sauvignon blanc côtoie le calcaire, alors que Pinot et Chardonnay tiennent partout ailleurs le haut du pavé. Comment ce cépage venu d’ailleurs a-t-il pu prendre racine et donner naissance à une AOC singulière, la seule de la région où il puisse s’exprimer pleinement ?

Saint-Bris-le-Vineux : un terroir à part dans le paysage bourguignon

Situé à la frontière du vignoble de Chablis, Saint-Bris-le-Vineux ne ressemble à aucun autre village bourguignon. Son vignoble s’étend sur environ 133 hectares (INAO, 2022), répartis sur les communes de Chitry, Irancy, Quenne et Vincelottes en plus de Saint-Bris-le-Vineux lui-même. Cette aire d’appellation profite d’une mosaïque de sols marneux et calcaires, typiques de la région, mais aussi d’un climat plus frais et ventilé, propice à la pleine expression des arômes vifs et fruités du Sauvignon.

Le sous-sol kimméridgien (le même que celui de Chablis voisin), confère aux vins une minéralité distincte, parfois soulignée d'une touche saline, rappelant la mer disparue qui recouvrait il y a 150 millions d’années ces falaises restantes.

Petite histoire du Sauvignon à Saint-Bris : de la maladie à la renaissance

Ce n’est pas le goût de l’exotisme ou de la transgression qui a conduit les vignerons de Saint-Bris à planter du Sauvignon. Il faut remonter à la fin du XIX siècle pour percer le secret : à l’époque, l’Auxerrois n’a pas encore été modelé par la monoculture du Pinot noir ou du Chardonnay. Le vignoble est alors bien plus vaste (près de 40 000 hectares dans l’Yonne avant la crise phylloxérique selon la Revue des Œnologues), planté essentiellement de cépages aujourd’hui disparus, comme le Roublot ou le Tressot.

Mais la phylloxéra frappe, dévastant des milliers d’hectares. Face à la ruine, les viticulteurs cherchent des solutions. Certains s’essaient alors à la plantation de cépages résistants et précoces : arrive le Sauvignon, importé de la Loire voisine ou de Sancerre, parfois via le bassin parisien où le cépage était déjà connu (source : Vins de Bourgogne). Sa précocité séduit rapidement sur ces pentes exposées, souvent battues par les vents froids. À l’inverse, le Chardonnay y mûrit moins facilement qu’à Meursault ou à Puligny.

Pourquoi une AOC dédiée au Sauvignon blanc ?

Si le Sauvignon blanc a su trouver sa place ici, c’est moins par hasard que par nécessité et adaptation. Mais la reconnaissance officielle tarde. Pendant des décennies, les vignerons continuent de produire un “vin blanc de Sauvignon”, sans droit à l’appellation village, vendant souvent sous la dénomination générique “Bourgogne”.

Ce n’est qu’en 2003, après de longues années de démarches, que la dénomination Saint-Bris rejoint enfin la grande famille des AOC de Bourgogne sous sa propre bannière. Cette création consacre un fait unique : Saint-Bris est la seule appellation de toute la Bourgogne à autoriser la culture et la vinification du Sauvignon blanc (et de son cousin, le Sauvignon gris). C’est un cas d’école, un héritage entériné par les circonstances historiques et reconnu pour son originalité.

Conditions et réglementation : le Sauvignon blanc sous étroite surveillance

Le cahier des charges de l’AOC Saint-Bris est très clair :

  • Seuls deux cépages sont autorisés : le Sauvignon blanc et le Sauvignon gris.
  • La superficie encépagée avoisine 130 hectares (source : BIVB, 2022).
  • Le rendement maximum est fixé à 60 hl/ha.
  • Vendanges exclusivement manuelles sur les meilleures parcelles.
  • Interdiction formelle d’utiliser les cépages traditionnels bourguignons (Chardonnay, Aligoté, Melon, etc.) pour vinifier sous l’appellation Saint-Bris.

Détail marquant : les vins doivent répondre à des critères stricts de fraîcheur et d’expression aromatique, qui les distinguent radicalement des autres blancs bourguignons.

Un profil aromatique unique : le Sauvignon blanc façon bourguignonne

À Saint-Bris, le Sauvignon exprime une identité singulière, bien différente de ses cousins de la Loire ou de Nouvelle-Zélande. On retrouve bien sûr ses arômes typiques :

  • Notes de groseille à maquereau, de buis, de pamplemousse et quelques touches de sureau.
  • Vif, tendu en bouche, mais adouci par la minéralité calcaire, donnant une finale saline et crayeuse, qui rappelle “la caresse d’un galet humide sur la langue”.
  • Souvent moins exubérant sur les notes “herbacées” que le Sauvignon de Loire, et doté d’une belle ampleur grâce à l’influence bourguignonne dans les modes de vinification (fermentation sur lie, parfois élevage en fûts anciens).

Certaines cuvées se distinguent par leur potentiel de garde, autour de 3 à 5 ans, voire parfois davantage sur les grands millésimes.

Un vignoble entre rareté et discrétion

La production de Saint-Bris reste confidentielle, avec environ 900 000 bouteilles par an (chiffres BIVB 2022). C’est peu, surtout à l’échelle d’une Bourgogne capable de produire plus de 200 millions de bouteilles chaque année sur l’ensemble de son vignoble (source : BIVB, 2021).

Seuls une vingtaine de domaines produisent du Saint-Bris, certains connus des amateurs pour leur travail exemplaire : la Famille Goisot, le Domaine Bersan, la Châtellenie ou encore le Domaine Verret. Nombre d’entre eux misent sur l’agriculture biologique ou la biodynamie, cherchant à sublimer un terroir discret mais précieux.

Saint-Bris et les (autres) blancs de Bourgogne : la cordiale différence

Impossible de ne pas évoquer la coexistence, douce et polie, entre Saint-Bris et ses voisins bourguignons. Aux portes du Chablisien, le Saint-Bris joue la carte de l’originalité, tout en affirmant sa parenté minérale avec le Chablis, mais en se démarquant clairement sur le plan aromatique.

  • Chablis (Chardonnay) : minéralité, notes de pierre à fusil, agrumes, parfois des touches salines.
  • Saint-Bris (Sauvignon) : expression plus vive, mêlant agrumes, fruits exotiques, herbes fraîches, minéralité crayeuse.
  • Bourgogne Aligoté : arômes de pomme verte, d’amande, fraîcheur acide, mais moins aromatique que Saint-Bris.

Pour l’amateur curieux, déguster à l’aveugle un Saint-Bris à côté d’un Sancerre, d’un Chablis et d’un Bourgogne Aligoté donne l’occasion de prendre conscience de la singularité de ce petit vignoble, à la croisée des influences.

Un fleuron menacé ? Les défis pour l’avenir

Comme tant d’appellations confidentielles, le Saint-Bris fait face à de nombreux défis : valorisation des prix à l’export, concurrence des grands blancs de Loire, adaptation au changement climatique. Malgré tout, la demande progresse régulièrement, portée par un regain d’intérêt des sommeliers et des amateurs pour les appellations à forte identité.

Le paradoxe du Saint-Bris est là : unique, parfois méconnu, mais régulièrement salué à l’aveugle dans les concours ou les dégustations professionnelles (découvrez les coups de cœur du Guide Hachette ou de la RVF, par exemple).

Oser le Sauvignon bourguignon : une invitation

Le terroir de Saint-Bris offre une parenthèse dans l’histoire du vin de Bourgogne. Goûter un Saint-Bris, c’est accepter de déroger à la règle, de bousculer ses habitudes et de redécouvrir un Sauvignon marqué par la main de la Bourgogne : moins “vert”, souvent plus minéral, toujours d’une fraîcheur éclatante.

C’est aussi un hommage aux vignerons audacieux qui, il y a plus d’un siècle, ont choisi la résilience face à l’adversité, en adoptant un cépage alors peu connu au sud de la Loire. Aujourd’hui, cette originalité fait de Saint-Bris un vin de connaisseur, propice à la conversation et à la découverte : une porte ouverte sur la diversité viticole de l’Yonne.

Ressources pour aller plus loin :

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