25 juin 2025

Saint-Bris, l’insolite bourguignon : le sauvignon en terre d’exception

Un village à part : Saint-Bris-le-Vineux et son écrin

Au sud d’Auxerre, nichée dans le joli pays de l’Auxerrois, la petite commune de Saint-Bris-le-Vineux semble paisible, mais elle recèle un trésor rare : la seule appellation de toute la Bourgogne où l’on cultive le sauvignon. Chose unique qui fait lever plus d’un sourcil chez l’amateur de vin français, tant la Bourgogne évoque d’abord chardonnay et pinot noir dans l’imaginaire collectif. Pourtant, à Saint-Bris, tout est affaire de singularité, de caractère et d’histoire tourmentée.

Sauvignon en Bourgogne : une exception qui remonte à loin

La Bourgogne, avec ses climats classés à l’UNESCO, est mondialement reconnue pour l’expression de ses deux cépages rois : le pinot noir et le chardonnay. Mais à Saint-Bris, le sauvignon blanc et le sauvignon gris sont rois. Cette exception n’est pas un hasard récent, mais le fruit d’une histoire séculaire.

  • Origine moyenâgeuse : La présence du sauvignon à Saint-Bris remonterait au Moyen Âge, notamment à la suite des ravages du phylloxéra au XIX siècle. Les vignerons, cherchant des solutions pour sauver les vignes, auraient introduit ce cépage venu du Centre Loire voisin, sans doute de Sancerre et Pouilly.
  • Reconnaissance officielle tardive : Ce n’est qu’en 2003 que l’appellation Saint-Bris obtient son AOC, peu de temps à l’échelle du vignoble bourguignon. Avant cela, on rencontrait les "Sauvignons de Saint-Bris", une rareté vendue sous l’appellation VDQS — une catégorie aujourd’hui disparue.
  • Un terroir déjà identifié à la fin du XIX siècle : Selon le Dictionnaire des communes de l'Yonne, on signalait déjà à l’époque des vins différents et dotés d’accents « sauvages », dus à la présence du sauvignon (source : BIVB).

Des sols et des vents : la géographie insolite du vignoble

La singularité de Saint-Bris vient aussi du sol. Le vignoble se love sur des coteaux exposés sud et sud-ouest, à une altitude moyenne de 200 à 250 mètres. Mais surtout, il partage sa terre avec Chablis, ses fameux calcaires du Jurassique, tantôt kimméridgiens, tantôt portlandiens.

  • Calcaires kimméridgiens : Ce sont les mêmes sols qui font le bonheur du chardonnay à Chablis et qui autorisent ici une belle expression de minéralité. Le sauvignon y trouve une fraîcheur, différente de celle donnée par la Loire.
  • Effet climatique : La région, balayée par les vents venus du nord-ouest, connaît des printemps parfois frais. Cette influence climatique, associée au sol, signe le profil si particulier du sauvignon auxerrois, nettement plus tendu et minéral que ses cousins de Touraine.

Saint-Bris couvre près de 133 hectares (récolte 2022, BIVB), soit bien moins que Chablis ou les grandes appellations régionales, ce qui confère à sa production un caractère confidentiel.

Un profil aromatique hors des sentiers battus

Ce qui frappe à la dégustation d'un Saint-Bris, c’est sa personnalité bigarrée : ni tout à fait Ligérien, ni tout à fait bourguignon. Les arômes du sauvignon ici se parent d’une gamme unique :

  • Notes herbacées, typées bourgeon de cassis, ortie et agrumes, parfois relevées d’une pointe de buis ou de groseille verte.
  • Trame minérale intense, due à la proximité des argiles et calcaires, apportant une fraîcheur droite et pure.
  • Expression saline et tension remarquable, ce qui différencie Saint-Bris de la rondeur florale de Sancerre ou du « pipi de chat » prononcé de certains sauvignons de Touraine.

La bouche révèle souvent une jolie amplitude, avec des finales toniques et désaltérantes, rendant ces vins excellents sur des fruits de mer, des fromages de chèvre de Puisaye ou même un tartare de poisson.

Une production discrète, des vignerons passionnés

À Saint-Bris, le nombre de producteurs est limité. Sur les quelques villages autorisés à produire l’AOC (Saint-Bris-le-Vineux, Chitry, Irancy, Quenne, Vincelottes), on dénombre une trentaine de domaines, souvent familiaux.

  • Production totale : Environ 8 000 hectolitres annuels, soit moins de 1% du volume des vins blancs bourguignons (source : Bourgogne Wines).
  • Grands noms : Parmi les pionniers, le Domaine Goisot compte parmi les têtes d’affiche, avec un travail biodynamique reconnu. D’autres domaines comme Bersan, Verret ou Clotilde Davenne défendent fièrement la typicité locale.

À la vigne, la recherche d’authenticité prime, avec des densités de plantation élevées (environ 6 000 pieds/ha) et des vendanges souvent effectuées à la main. Beaucoup de domaines travaillent en agriculture biologique ou raisonnée, renforçant encore l’expressivité naturelle du sauvignon.

Quand la discrétion devient une force : les accords mets & vins

La singularité du sauvignon de Saint-Bris, tendue et citronnée, en fait l’allié parfait de la table :

  • Avec les huîtres et crustacés : Sa minéralité tranche dans le vif des coquillages, exaltant les saveurs iodées.
  • Sur une gougère ou un fromage de chèvre : Les notes herbacées s’accordent à merveille avec la subtile acidité du fromage.
  • Pour un apéritif d’été : Frais, léger, sa finale saline ouvre l’appétit, à déguster avec rillettes de poisson ou terrine de légumes.
  • Cuisine exotique : Les plats à base de citronnelle ou de gingembre, comme un ceviche ou une salade thaïe, mettent en valeur sa fraîcheur tonique.

L’identité subtile d’un « vin de frontière »

Saint-Bris se situe à la croisée de deux mondes : la rigueur minérale de la Bourgogne septentrionale et la fougue aromatique de la Loire. Longtemps, cette position entre-deux a été perçue comme une faiblesse, voire une bizarrerie. Aujourd’hui, alors que l’originalité et la fraîcheur sont chéries par les amateurs, Saint-Bris s’impose comme un éclaireur, une curiosité fière de son atypisme.

D’ailleurs, le renom de ce vin ne cesse de progresser sur les tables françaises et à l’export. On constate ces dernières années une véritable revalorisation, avec près de 30% de la production expédiée hors de France chaque année (source : BIVB).

Regard vers l’avenir : enjeux et promesses

Face au réchauffement climatique, Saint-Bris dispose d’atouts : maturités plus régulières, équilibres naturels préservés et capacité à garder de la tension dans des millésimes chauds. Ce n’est donc pas un hasard si certains domaines investissent massivement pour replanter du sauvignon ou expérimentent avec le sauvignon gris, cépage injustement méconnu.

  • Climat en mutation : Les vendanges, naguère réalisées en septembre, commencent parfois fin août, dictées par les étés plus chauds. Cela oblige les vignerons à adapter leurs pratiques pour conserver fraîcheur et typicité.
  • Curiosité des sommeliers et export : Le style unique de Saint-Bris séduit chaque année de nouveaux sommeliers à Paris, Londres et New York, qui apprécient la rareté et l’originalité de son profil (source : Le Monde).

Saint-Bris, c’est la promesse de la surprise dans la constance bourguignonne, un vent de liberté au cœur d’un vignoble parfois très codifié. Un vin à découvrir, à partager, à transmettre, comme un secret chuchoté depuis des siècles entre les ceps de sauvignon et les murets de pierre sèche.

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