21 juillet 2025

Les secrets minéraux des terroirs auxerrois face au mythe de Chablis

Auxerrois et Chablis : deux histoires, une complicité géologique

L’Auxerrois et Chablis, tous deux situés dans l’Yonne, partagent bien plus qu’une proximité géographique. Si les rues animées d’Auxerre ne sont séparées que de quelques kilomètres des pentes crayeuses de Chablis, ces vignobles n’en composent pas moins deux mondes viticoles distincts. Pourtant, nombreux sont les amateurs qui s’interrogent : qu’en est-il de la minéralité, ce fil conducteur tant célébré à Chablis ? Les vins de l’Auxerrois peuvent-ils, eux aussi, offrir cette vivacité minérale tant recherchée ?

Pour répondre à cette question, il convient d’abord de plonger dans la terre, puis dans le verre, et d’écouter le murmure de la vigne. Partons à la découverte de ces terroirs qui dessinent le destin des vins, entre craie et argile, lumière et pluie.

La géologie, clef de voûte de la minéralité

Chablis : l’empire du Kimméridgien

Impossible d’évoquer la minéralité de Chablis sans parler de son socle géologique unique. Ici, le sol Kimméridgien, composé de marnes calcaires riches en fossiles marins (notamment les fameuses petites huîtres Exogyra virgula), confère aux vins une tension et une salinité incomparables. Cette roche, formée au Jurassique il y a environ 150 millions d’années, s’étend sur un couloir géologique étroit, reconnu mondialement (source : BIVB - Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne).

  • Surface de Chablis : environ 5 800 hectares.
  • Proportion de Kimméridgien : près de 70 % du vignoble.
  • Effet sur le vin : grande fraîcheur, notes de pierre à fusil, salinité, allonge en bouche.

Auxerrois : une mosaïque complexe

L’Auxerrois ne peut compter sur un unique trésor souterrain. Ici, l’or blanc se mélange à des terres argilo-calcaires, des affleurements de Portlandien (formation géologique plus récente que le Kimméridgien), ainsi qu’à des veines marneuses plus dispersées. Ce patchwork géologique donne naissance à des parcelles modestes mais singulières, souvent mieux connues sous les appellations Côteaux de l'Auxois, Saint-Bris, Irancy ou Bourgogne Côtes d’Auxerre.

  • Surface totale de l’Auxerrois viticole : environ 1 500 hectares.
  • Principales formations : argilo-calcaires, marnes blanches, quelques filons de Kimméridgien.
  • Effet sur le vin : fraîcheur, rondeur, parfois caillou mais rarement la salinité éclatante du Chablis.

Climat, exposition et pratiques culturales : des nuances dans la minéralité

La fraîcheur septentrionale, signature commune

Chablis et l’Auxerrois partagent une latitude élevée (aux alentours de 47,8°N), ce qui implique des maturités lentes et des vendanges généralement plus tardives que dans le reste de la Bourgogne. Cette fraîcheur confère aux vins une belle acidité naturelle, socle nécessaire à la perception de la minéralité.

Pourtant, leur climat est loin d’être identique. Les vignerons du secteur d’Irancy, par exemple, font face à des gelées printanières tout aussi redoutées qu’à Chablis, mais les reliefs et forêts environnantes créent parfois de petits microclimats, apportant des nuances subtiles.

Le rôle de la vigne et de la main de l’homme

De plus en plus d’études montrent que la minéralité perçue ne provient pas directement de la roche absorbée par la vigne, mais d’une synergie entre sol, climat, plante et savoir-faire. Les vignerons auxerrois redoublent d’attention : taille courte, enherbement, rendements limités et vendanges à la main permettent de préserver cette expression pure du terroir. Les choix de vinification (fermentation en cuve inox vs. fût, limitation du bâtonnage) jouent aussi un rôle de premier plan dans la révélation – ou la préservation – de cet éclat minéral.

Cépages : le prisme de la minéralité auxerroise

Chablis rime exclusivement avec le Chardonnay, cépage capable de faire parler la roche comme nulle autre variété blanche. Sa neutralité aromatique, sur Kimméridgien, épouse magnifiquement le sol et livre ces notes rares d’huître, de silex, d’agrume et de coquille d’œuf écrasée (source : Andrew Jefford, The New France).

L’Auxerrois, quant à lui, revendique une plus grande diversité :

  • Chardonnay : en Bourgogne Côtes d’Auxerre, Saint-Bris, et certains Crémants. Belle fraîcheur, arômes de pomme verte, de fleurs blanches, parfois une touche pierreuse subtile sur les meilleures parcelles.
  • Sauvignon blanc (Saint-Bris, unique AOC Sauvignon de Bourgogne) : Exprime la tension, la pureté, parfois une note crayeuse, mais aussi des arômes d’agrumes, de buis, de cassis, plus marqués que la notion minérale pure.
  • Pinot Noir et César (Irancy, Côtes d’Auxerre) : Ces rouges n’expriment pas la minéralité comme les blancs, mais peuvent jouer sur la fraîcheur, la droiture et une trame tannique rappelant la terre battue ou la craie humide.

Le Chardonnay reste donc le cépage qui prête le mieux au jeu de la minéralité en terres auxerroises, à condition de provenir de parcelles argilo-calcaires bien exposées, parfois situées sur d’anciens lits marins (source : Guide Hachette des Vins 2023).

Dégustation comparative : qu’apporte vraiment l’Auxerrois ?

L’un des plus grands plaisirs de passionné reste la dégustation « à l’aveugle », ce moment où s’effacent les étiquettes pour ne garder que le vin et la mémoire du terroir.

  • Un Chablis classique (Domaine Louis Michel, 2020) : attaque très pure, notes de coquille d’huître, citron vert, longueur saline, finale vibrante.
  • Un Bourgogne Côtes d’Auxerre blanc (Domaine Goisot, 2021) : nez de fleurs blanches et pomme granny, bouche tendue avec une pointe pierreuse, allonge élégante mais salinité moins marquée.
  • Un Saint-Bris Sauvignon (Domaine Bersan, 2022) : acidité vive, agrumes, note crayeuse mais finale moins « iodée » qu’un Chablis.

La minéralité de l’Auxerrois s’exprime souvent avec délicatesse : elle suggère le caillou, la craie, parfois la pierre à fusil, mais rarement cette puissance saline qui fait la signature chablisienne. En revanche, ces vins séduisent par leur pureté, leur vivacité, et une digestibilité proche de celle des meilleures bouteilles de la région voisine.

Quelques anecdotes et repères chiffrés

  • Le prestigieux Domaine Goisot, à Saint-Bris-le-Vineux, travaille sur d’anciennes parcelles de Kimméridgien, produisant des blancs d’une minéralité remarquable. Mais seulement 2 à 3 % des sols de l’Auxerrois peuvent revendiquer ce sous-sol magique.
  • L’appellation Saint-Bris, avec ses 165 hectares, a vu ses ventes progresser de près de 40 % entre 2016 et 2022, fruit d’une reconnaissance grandissante pour la fraîcheur et le caractère distinctif de ses blancs (source : Vins de Bourgogne, Chiffres 2023).
  • L’Irancy, terre de rouges au nord de la Bourgogne, dévoile parfois dans ses meilleurs pinots une tension minérale, subtilement accentuée par un sol argilo-calcaire et une exposition sud-ouest.

Les défis pour l’avenir : réchauffement et quête d’authenticité

Face aux changements climatiques, la minéralité devient un enjeu de taille pour les vignerons de l’Auxerrois. Le réchauffement global accélère la maturité des raisins, risquant d’atténuer cette tension fraîche et cette sensation « calcifiée » que tant de dégustateurs recherchent. Les nouvelles pratiques (retour aux porte-greffes adaptés, maintien de l’enherbement, repérage des parcelles les plus fraîches) sont au cœur des discussions actuelles (source : INRAE, études 2022-2023).

Certaines parcelles, autrefois jugées « froides » ou tardives, prennent aujourd’hui leur revanche et révèlent enfin toute leur minéralité, profitant de la maturité plus rapide du fruit. Un bel exemple de résilience et d’évolution du terroir !

Perpétuer la singularité auxerroise face au géant Chablis

La minéralité des terroirs auxerrois, si elle ne rivalise pas toujours avec l’intensité saline et la précision tranchante de Chablis, offre une palette d’expression sincère et nuancée. Cette singularité, qui se décline entre pierre, craie, fraîcheur et discrètes notes salines, s’inscrit pleinement dans la richesse viticole de la Bourgogne septentrionale.

Pour l’amateur curieux ou averti, marcher sur ces terres, s’asseoir face aux côteaux d’Irancy ou de Saint-Bris, et goûter le fruit du labeur vigneron, c’est toucher du doigt la personnalité d’un vignoble resté longtemps dans l’ombre. Une ombre d’où émergent, aujourd’hui plus que jamais, des vins minéraux lumineux, véritables reflets de leur sol et de leur histoire.

Sources principales : BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne), Vins de Bourgogne, Guide Hachette 2023, INRAE, « The New France » Andrew Jefford

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