15 juillet 2025

Irancy et Mercurey : Deux Rouges, Deux Univers, Un Secret de Bourgogne

Des origines et des histoires bien distinctes

Irancy et Mercurey affichent chacun un ancrage historique remarquable mais des destins singuliers.

Irancy, l’enfant de la vallée de l'Yonne

Irancy puise ses racines dans la campagne au nord d’Auxerre. Ce petit village viticole doit une partie de sa renommée à des mentions dès le Moyen Âge : ses vins étaient déjà présents sur la table de la papauté à Avignon (source : Syndicat de l’AOC Irancy). Longtemps, les vignerons du cru ont lutté pour leur survie, notamment face au phylloxéra au XIXe siècle et à la concurrence des vignobles du sud.

La reconnaissance en AOC n’est intervenue qu’en 1999, mais la tradition viticole d’Irancy, marquée par la mixité de son encépagement et une production à échelle modeste (environ 180 hectares aujourd’hui, source : CIVB), ne ressemble à aucune autre.

Mercurey, grande figure de la Côte chalonnaise

Situé à quelques encablures de Chalon-sur-Saône, Mercurey trône fièrement parmi les plus vastes vignobles rouges de la Bourgogne, avec 650 hectares (source : BIVB). La tradition y est continue : réputée dès le Moyen Âge, la commune n’a jamais cessé de produire du vin. Mercurey s’est imposé comme une référence grâce à la fidélité de ses exploitants au Pinot Noir, mais aussi par une longue hiérarchie de premiers crus dès les années 1930.

Cépages : la part de l’aligoté noir dans les rouges d’Irancy

Contrairement à Mercurey, où le Pinot Noir est roi sans partage, Irancy cultive une rareté bourguignonne : le cépage César. Son impact sur le profil des vins y est particulièrement marquant.

  • Pinot Noir : emblématique des deux régions, il assure structure, fruité et élégance. Dans les deux terroirs, il exprime la typicité de la Bourgogne, mais jamais de façon identique.
  • César : cépage rouge originaire de l’Yonne, selon la légende apporté par les légions romaines. Il ne représente qu’une fraction du vignoble (jusqu’à 10% autorisés dans l’assemblage d’Irancy, selon cahier des charges AOC) mais insuffle une note sauvage : couleur plus intense, tanins robustes, accents de sous-bois, structure différente.
  • Absence de César à Mercurey : ici, pureté du Pinot Noir, parfois un soupçon de Pinot Gris (droit local), mais la tradition est au mono-cépage, apportant un profil homogène sur l’ensemble de l’appellation.

Cet écart dans l’assemblage influe considérablement sur la robe, la trame tannique et le nez des vins : plus de force, parfois plus d’austérité chez Irancy, alors que Mercurey s’offre sur la finesse et la rondeur dès sa jeunesse.

Le terroir, cœur battant de la distinction

Souvent, le secret se niche dans la terre sous les pieds.

  • Sols d’Irancy : Issus du Kimméridgien, ces sols mêlent argiles, marnes et calcaires truffés d’exosquelettes fossilisés. Ces terres, que l’on retrouve également à Chablis, offrent une touche minérale, un côté plus direct et des vins structurés, avec parfois une pointe de rusticité et d’épices (source : BIVB, Atlas des vins de France).
  • Sols de Mercurey : Ici, le calcaire bathonien domine, mêlé à des argilo-calcaires plus ou moins profonds selon les climats. Le Pinot Noir sur ces terres affiche une grande finesse dans la trame tannique, une souplesse et une capacité de garde notable. Les plus beaux climats (Clos du Roi, Les Naugues…) s’illustrent par une texture veloutée, une expression florale parfois accompagnée de notes de fruits rouges compotés.

Climat, exposition et influence septentrionale

La latitude n’est pas une simple note de bas de page : elle modifie corps et âme du vin.

Région Latitude Régime climatique Effets sur le vin
Irancy 47.75° N Climat continental, hivers froids, printemps souvent tardifs, gel fréquent, été modéré Vins plus frais, acidité marquée, profils parfois austères, maturité polyphénolique plus difficile à atteindre
Mercurey 46.83° N Climat plus clément, précocité de la maturité, sécheresse ponctuelle Vins plus souples, tanins mûrs, bouquet fruité expressif, plus accessible dans sa jeunesse

Dans la pratique, l’année 2021 – fortement marquée par les gelées printanières dans l’Auxerrois – a vu, par exemple, les rendements d’Irancy chuter de plus de 60%, tandis que Mercurey s’en est tiré avec une récolte moins impactée (Sources : Vitisphere, La RVF). La fraîcheur d’Irancy tend à accentuer la droiture du vin, parfois au détriment de la rondeur immédiate qu’offrent certains Pinot Noir du sud de la Bourgogne.

Élevage, traditions et signatures des artisans

Le savoir-faire des femmes et hommes de l’art n’est pas à négliger : il façonne le style final.

  • À Irancy, l’élevage en fût est fréquent chez les meilleurs producteurs, mais rarement dominateur : on cherche à préserver la pureté d’expression du Pinot et le caractère singulier du César. Les durées d’élevage sont variables, de 10 à 18 mois, selon la densité du millésime. Certains conservent la tradition des « vins de soif », souples et croquants.
  • À Mercurey, l’accueil du bois neuf est plus large, notamment sur les premiers crus et les cuvées de garde. Les arômes de vanille, de tabac blond et de boisé s’invitent donc plus fréquemment à la dégustation, signant le classicisme bourguignon.

À la dégustation : couleurs, parfums, émotions

  • Irancy : la robe est profonde et violacée, le nez charmeur d’arômes de griotte, de sureau, de réglisse, avec parfois des notes animales. En bouche, la sensation de rusticité, de fraîcheur, une persistance sur l’acidité vive et des tanins vigoureux caractérisent les meilleurs flacons. L'ouverture les assagit, mais leur force demeure.
  • Mercurey : la robe évolue du rubis brillant vers des reflets grenat. Le bouquet s’ouvre sur la cerise, la mûre, la pivoine, avec parfois un sous-texte d’épices douces ou de cacao. En bouche, le velouté attaque d’emblée, la finale est longue, douce, invitant à revenir au verre.

Il n’est donc pas étonnant que les mets associés diffèrent : à Irancy, un coq au vin ou une terrine de gibier, à Mercurey, un rôti de veau ou une volaille sauce crème illustrent le mariage gratifiant de la tendreté du plat et de la souplesse du vin.

Les chiffres qui disent tout

Appellation Superficie (ha) Production annuelle (hl) Prix moyen bouteille Réputation
Irancy 180 7 500 15-25 € Émergente, à surveiller selon Bettane+Desseauve
Mercurey 650 33 000 18-35 € hors climats d’exception Considérée depuis longtemps comme valeur sûre de la Côte chalonnaise (source : BIVB)

Deux caractères, une Bourgogne plurielle

Irancy et Mercurey sont bien plus que deux noms sur une étiquette. Leur différence ne traduit pas une opposition, mais l’expression de deux sensibilités, façonnées par la géographie, l’histoire, le climat et l’humilité de ceux qui élèvent la vigne saison après saison. Chacun porte la voix de son terroir, l’un mariant la rudesse du nord à la fougue du César, l’autre caressant le palais d’un Pinot Noir suave sous les auspices du soleil de la Côte chalonnaise.

Goûter ces vins, c’est traverser la Bourgogne, de la fraîcheur vive des coteaux de l’Yonne aux rondeurs solaires de Mercurey. La Bourgogne n’a jamais aimé les réponses simples : les vins d’Irancy et de Mercurey en sont la parfaite illustration.

Sources :

  • www.vins-bourgogne.fr (BIVB)
  • Atlas des vins de France, éditions Solar
  • Syndicat de l’AOC Irancy
  • Bettane+Desseauve
  • La Revue du Vin de France
  • Vitisphere

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